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En Afrique, vers une stratégie mobile first ?

Madagascar se situe à seulement deux heures d’avion de Maurice. Pourtant, les défis à relever en terme de numérique sur la Grande ile se situent à une toute autre échelle, la faute à un taux d’équipement relativement faible. Selon l’OMERT (Office malagasy pour l’étude et la régulation des télécommunication), pour une population de vingt-trois millions d’habitants, seuls huit millions possèdent un abonnement mobile, et 727 973 un abonnement internet — moins de 3 % ! Même s’il faut noter une amélioration par rapport à 2012, où les internautes représentaient 0,4 % de la population, difficile pour les médias d’envisager une stratégie numérique rentable. Les ambitions du groupe La Sentinelle, qui possède L’Express Madagascar, seraient-elles en inadéquation avec la conjoncture actuelle du pays ? Pas nécessairement. Si les chiffres actuels paraissent faibles, il faut s’attarder sur leur évolution sur le long terme.

Parmi les données relevées, une est particulièrement frappante : le boom des téléphones portables. En dix ans, le nombre de possesseurs de téléphones mobiles a été multiplié par 30. Rien qu’entre 2012 et 2013, le nombre d’abonnés à internet sur mobile a lui été multiplié par dix. Ne faudrait-il pas miser davantage sur une stratégie axée mobile first, au détriment des formats numériques traditionnels?

Évolution du nombre d’abonnés à Madagascar 

OPÉRATEURS 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Service mobile 4 835 239 6 283 799 7 711 721 8 665 156 8 778 600 8 461 120
Service Internet 17 176 26 292 33 824 35 950 94 746 727 973

Source : OMERT

Nombre d’abonnés Internet à Madagascar 

2010 2011 2012 2013
Fixe (BLR, Wimax,ADSL) 13 600 17 719 22 350 24 009
Mobile 20 224 18 231 72 396 703 964

Source: OMERT

Une révolution amorcée sur tout le continent

Le groupe La Sentinelle a décidé de faire passer le cap du numérique à la version malgache de L’Express, formation des journalistes à l’appui. À Madagascar, comme dans beaucoup pays d’Afrique, l’accès au numérique reste limité. La faute en revient à des prix souvent prohibitifs, compte tenu du niveau de vie des habitants. La parade ? Privilégier l’utilisation d’internet sur les téléphones mobiles.

L’explosion du mobile en Afrique est à mettre majoritairement sur le compte de la mauvaise qualité voire de la quasi-inexistence d’un réseau internet fixe haut débit. Le continent a toutefois vu une amélioration de la bande passante suite à la récente prolifération des câbles sous-marins entre l’Afrique et l’Europe. Enfin, les téléphones et offres bon marché des opérateurs locaux se sont dernièrement multipliés. Le mobile s’est donc logiquement imposé comme l’accès privilégié à Internet pour le plus grand nombre.

Les derniers chiffres de l’Union internationale des télécommunications (UIT) confirment la tendance pour 2014 : tandis que le nombre de foyers africains ayant un accès internet stagne à 11 %, le nombre d’habitants possédant un téléphone portable atteint lui les 69 %.  Mais ce développement massif du mobile n’est pas encore toujours synonyme de démocratisation de l’économie numérique.

De nombreux freins pour l’internet traditionnel

RFI a rédigé en 2008 un dossier complet sur la question du prix d’accès à internet en Afrique. Des témoignages, confirmés par les chiffres de l’UIT, avaient imposé le constat suivant : au regard du revenu de la population, la connexion internet en Afrique était, de loin, la plus chère au monde. Houssen, auditeur malgache, expliquait alors : « ici il y a de plus en plus d’innovations en matière d’internet, mais le principal problème reste le coût qui reste très élevé. Par exemple, le coût de l’ADSL équivaut à un mois de salaire d’un ouvrier ». Le prix de la connexion était, à l’époque, de 28,94 USD par mois, soit 124,02 % du revenu mensuel sur l’île de Madagascar.

Frein toujours d’actualité en 2014, selon Emilar Gandhi de l’Association pour le progrès des communications (APC)  : « l’accès internet a connu une croissance rapide, mais la majorité des gens reste encore en dehors des zones de couverture et le coût d’accès est encore très élevé pour les abonnés. Le haut débit mobile a été facilement adopté, mais il est très cher et les débits sont relativement lents. » Point positif, l’arrivée de nouveaux opérateurs. Jusque-là souvent limité à un seul opérateur, l’opérateur « historique » Telma pour Madagascar, le marché très peu concurrentiel favorisait les prix très élevés. Depuis l’arrivée de Blueline, Orange et Airtel, les malgaches ont vu le coût des abonnements baisser. Cependant, ce n’est pas encore la panacée, et beaucoup déplorent que seuls Telma et Blueline proposent actuellement une connexion illimitée, à des  tarifs et des conditions d’abonnement inaccessibles pour la majorité de la population.

Interrogé par L’Express Madagascar en novembre 2014, Michel Barré, directeur général d’Orange Madagascar, déclarait au sujet des tarifs : « une bonne partie du coût d’exploitation du réseau dépend du coût de l’électricité. Et à Madagascar, le coût de l’électricité est parmi les plus chers du monde. Le coût d’exploitation dépend aussi des coûts des équipements dont la plupart sont importés. Les marges de manœuvre sont extrêmement faibles.  »

Nouvel Eldorado pour les médias

Au-delà des opérateurs, cette explosion du marché mobile profite à plus d’un secteur. Parmi eux, les médias. Une telle ébullition n’étonne pas Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde : « à l’heure actuelle, l’Afrique, c’est le Klondike. Toutes les entreprises y sont et veulent profiter de cette extraordinaire croissance qui fait rêver. » Le 24 octobre dernier, Canal + lançait une nouvelle chaîne baptisée A +, entièrement dédiée aux contenus africains et diffusant à 40 % des programmes produits en Afrique francophone.

Dans son numéro 1771 de juin 2014, le magazine Stratégies relevait que la presse française n’est pas en reste en matière de projets. Et ils sont tous orientés vers le mobile. L’existence de médias français et/ou internationaux destinés à l’Afrique n’est certes pas une nouveauté. On pense à RFI ou au précurseur Jeune Afrique, édité à Paris depuis 1960 et premier magazine panafricain en termes d’audience. Jeune Afrique, qui a levé 150 000 euros auprès du Fonds Google pour créer « la première plate-forme de revente de contenus éditoriaux francophones sur l’Afrique ». Il travaille aussi sur une nouvelle version de son site avec des applis smartphones et tablettes.

Parmi les autres exemples, la version française de Slate a lancé Slate Afrique en février 2011. Le Huffington Post s’est joint à cette dynamique en lançant le HuffPost Maghreb en juin 2013, d’abord en Tunisie, puis en Algérie et au Maroc. Le Monde a lancé le 20 janvier la version Afrique de son site internet. Une plateforme 100 % numérique, à l’interface légère pour s’adapter aux supports les plus dynamiques : smartphones et tablettes. Enfin, Le Point  a inauguré son site dédié à l’actualité africaine francophone en mars 2014.

Face à un marché local moribond, saturé, le continent africain représente un nouveau terrain à conquérir pour les médias, principalement sur les nouveaux supports technologiques. L’expansion du mobile, la croissance positive sont autant de facteurs qui encouragent à se tourner vers l’Afrique, qui semble offrir des possibilités infinies.

Au vu de ces éclaircissements, le lancement d’une application et d’un site davantage tourné vers le mobile semble plus judicieux pour L’Express Madagascar.  Et cela pour toucher le cœur de cible : les jeunes. D’autant que le gouvernement semble vouloir favoriser le développement du numérique en introduisant peu à peu son apprentissage à l’école.