Le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-ocha s’en est pris violemment aux journalistes, disant qu’il « exécuterait probablement » ceux qui ne « rendent pas compte de la vérité ». Dernière attaque du pouvoir militaire à l’encontre des journalistes, qui confirme que la liberté d’informer de plus en plus menacée en Thaïlande.
En mars dernier, le général Prayuth avait déclaré qu’il avait le pouvoir de faire arrêter les médias. Il a franchi une étape supérieure et a adopté une ligne encore plus dure à l’encontre de la presse, réduisant un peu plus la liberté d’expression dans le pays.
La liberté de la presse de plus en plus menacée
« Nous allons probablement juste les exécuter », a dit Prayuth, sans la trace d’un sourire, à la question posée par des journalistes pour savoir comment le gouvernement traiterait ceux qui n’adhèrent pas à la ligne officielle. «Vous n’êtes pas obligé de soutenir le gouvernement, mais vous devez rendre compte de la vérité», a déclaré le chef de la junte militaire, instant sur le fait que les journalistes doivent écrire de façon à soutenir la réconciliation nationale dans le royaume.
Le 5 mars, « Journée des reporters » dans le pays, Prayut Chan-o-cha avait expliqué que les journalistes devaient : « jouer un rôle important en soutenant les actions du gouvernement, entraînant de manière concrète une compréhension des politiques de ce dernier par le public, et ainsi réduire les conflits dans la société ». Prayuth avait apparemment été contrarié par un reportage de l’Associated Press sur l’utilisation d’esclaves dans le vaste secteur de la pêche en Thaïlande.
Prayuth, Premier ministre, est à la tête de la junte dirigeante depuis le coup d’état du 22 mai 2014. Il a renversé le gouvernement de la Première ministre Yingluck Shinawatra en mai dernier, après des mois de protestations visant à évincer cette dernière. La Thaïlande est classée par Reporter sans frontières pour l’année 2015 à la 134e place, sur 180. Soit une dégradation et un recul de la liberté de l’expression par rapport à l’année précédente de 4 places.
Les exactions, les menaces, la censure et le concept de crime de lèse-majesté qui permet d’arrêter toute personne critiquant le Royaume sous couvert de protéger la « sécurité nationale », expliquent la dégradation de la situation de la presse depuis le coup d’état du 22 mai 2014.
Le crime de lèse-majesté: une notion floue
Toute critique ou toute diffamation envers le roi, la reine, le prince héritier ou le régent sont sévèrement réprimés. En 2010, après les grandes manifestations de l’opposition à Bangkok, le nombre de procès a explosé pour atteindre 478 cas. Et le Code pénal a aggravé les peines encourues.
Les lois contre les crimes de lèse-majesté en Thaïlande sont parmi les plus sévères du monde, et ces derniers sont punis d’une peine de prison entre 3 et 15 ans. Même les journalistes étrangers basés à Bangkok sont contraints à une forme d’autocensure. Plusieurs étrangers ont été arrêtés pour lèse-majesté et des journalistes, visés par des plaintes, ont dû quitter le pays.
La Thaïlande toujours soumise à la loi martiale
Connu pour ses manières brusques et son impulsivité, Prayuth a déclaré que le pays n’est pas prêt à supprimer la loi martiale qui donne les pleins pouvoirs à l’armée, y compris en matière d’arrestation et de détention. En janvier, la junte avait forcé une fondation allemande à abandonner un forum sur la liberté de la presse disant que la Thaïlande était à un tournant sensible. Depuis la prise du pouvoir en mai 2014, la junte applique la loi martiale, qui interdit notamment toutes les réunions politiques.
Prayuth était particulièrement critique envers le quotidien thaï Matichon, accusant le journal de se rallier à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra et à ses alliés. Les échanges conflictuels sont fréquents entre le Général Prayuth et la presse, mais il semble avoir franchi une étape supplémentaire en faisant cette déclaration.
La Fédération Internationale des Journalistes (IFJ) et le syndicat national des journalistes de Thaïlande (NUJT) ont déploré ces commentaires, soulignant que cette nouvelle sortie verbale du chef de la junte illustrait le déclin continuel de la liberté de la presse en Thaïlande sur les 12 derniers mois. Et la mainmise des militaires sur le pouvoir pourrait s’éterniser encore malgré une promesse d’élections prévue pour fin 2015- début 2016. A l’heure actuelle, aucun signe de retour à la démocratie et à un gouvernement civil n’est à noter.
Ce qui ne va pas améliorer la situation pour la liberté de la presse en Thaïlande…