Diyarbakır : une journaliste accusée de « propagande terroriste » acquittée

Frederike Geerdink, journaliste néerlandaise risquait jusqu'à cinq ans de prison pour ses prises de position en faveur de la cause kurde.
Frederike Geerdink, journaliste néerlandaise risquait jusqu’à cinq ans de prison pour ses prises de positions en faveur de la cause kurde.

Un procureur turc de Diyarbakır en Turquie acquittait le 8 avril dernier la journaliste néerlandaise Frederike Geerdink, poursuivie jusque-là pour « propagande terroriste » en faveur des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), après avoir diffusé sur les réseaux sociaux des publications laissant supposer selon la justice turque, une forme de « sympathie » à leur égard.

« Le procureur a jugé que les charges contre Frederike Geerdink n’étaient pas constituées, que ce qui lui était reproché relevait du travail journalistique et pas de la propagande et a donc demandé son acquittement » avait alors déclaré Reporters sans frontières à l’issu d’une première audience qui s’est déroulée le 8 avril dernier au tribunal de Diyarbakır. Plusieurs associations internationales ont d’ailleurs assisté à son procès pour la soutenir en tant que partie civile : des représentants de l’ambassade néerlandaise d’Ankara, d’Amnesty International, de la Fédération internationale des journalistes de Bruxelles, ainsi que deux journalistes de Reporters sans frontières, Johann Bihr et Erol Önderoğlu, joint par Horizons Médiatiques.

« Elle partageait ses approches personnelles en lien avec les richesses de la région où elle habite »

Fréderike Geerdink,  journaliste du site turc Diken très active sur les réseaux sociaux, s’est vu reprochée par les autorités turques de faire de « la propagande terroriste » après avoir publié des reportages sur son site internet, où elle donnait la parole à un jeune kurde affichant un sentiment de culpabilité lorsqu’il pensait à ses « frères qui prenaient le chemin de la montagne », partis combattre Daech à la frontière près de Kobané.  La justice turque reprochait aussi à cette reporter néerlandaise de 45 ans d’avoir retweetté des caricatures et fait circuler sur son compte certaines de ses chroniques jugées « compatissantes » à l’égard de la population kurde de Diyarbakır, ville située au sud-est de la Turquie.

« Fréderike Geerdink  est une journaliste très active sur les réseaux sociaux et partageait sa vie quotidienne sur Twitter, sa vie était assez transparente sur les réseaux sociaux, mais pas seulement pour ses proches, également aux yeux de la société civile, des journalistes de Diyarbakır et des forces de l’ordre » expliquait en avril dernier Erol Önderoğlu au site d’Horizons Médiatiques.

La journaliste néerlandaise Frederike Geerdink est connue comme la seule correspondante occidentale basée à Diyarbakir, où elle vit depuis 2006. Elle est l’auteur d’un livre et de nombreux articles consacrés à la question kurde, notamment sur le site Diken et sur son blog, « Kurdish Matters ». Après la perquisition de son domicile et un interrogatoire de plusieurs heures par la police antiterroriste, le 6 janvier 2015, la journaliste a été inculpée sur la base de l’article 7.2 de la loi antiterroriste accusée d’avoir publié sur les réseaux sociaux des chroniques et des messages assimilés par les autorités comme de la « propagande en faveur d’une organisation terroriste ». Sur la base de cet article de la loi anti-terroriste turque, la journaliste risquait jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Mais la réalité est tout autre, « au niveau des contenus, rien n’était vraiment susceptible d’inquiéter les autorités » souligne le représentant de Reporters sans frontières en Turquie Erol Önderoğlu. « Elle partageait ses approches personnelles en lien avec les richesses de la région où elle habite, vu qu’elle partage le quotidien des kurdes de Diyarbakır ». « Ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu, je ne suis coupable de rien, je n’ai fait aucune propagande », a insisté la journaliste lors de son audience. « C’est un procès politique (…) la liberté de la presse régresse en Turquie, c’est un fait », déclarait-elle à l’issu du procès.

L’accusation d’« appartenir à une organisation terroriste » reste largement utilisée de façon arbitraire en Turquie de façon à réprimer les professionnels des médias critiques envers les autorités. Une quarantaine de journalistes sont poursuivis sur cette base dans le cadre du procès du présumé « comité des médias du KCK », une organisation affiliée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour avoir critiqué sur Twitter un procureur, la célèbre présentatrice Sedef Kabaş est ainsi accusée d’avoir « mis un fonctionnaire public dans la ligne de mire d’une organisation terroriste ».

La question des minorités kurdes

Considéré comme une organisation terroriste par Ankara et la plupart des pays occidentaux, le Parti des travailleurs du Kurdistan mène depuis 1984 une rébellion contre l’armée turque pour réclamer l’indépendance de territoires peuplés à majorité kurdes.  Le gouvernement et les médias turcs attribuent régulièrement au PKK des attentats ayant causé la mort de milliers de civils en Turquie. De son côté, l’organisation dément toujours ces accusations.
Après les attaques de l’armée turque dans le Kurdistan irakien en février 2008, des Kurdes d’Istanbul descendaient alors dans les rues. Les forces turques ont ensuite réagi en menant des actions dans le Sud-Est du pays placé en zone interdite pour les étrangers et un état d’urgence, levé depuis, fut décrété pour la population civile pendant plusieurs années.

À l’automne 2012, des pourparlers de paix qui pour l’heure, n’ont pas encore abouties, ont ensuite été engagés. Malgré le processus de négociation en cours initié par le gouvernement turc de l’AKP, les tensions restent vives. Depuis le 24 mars, l’armée turque s’est implantée dans le sud-est du pays dans une opération contre les positions de la rébellion kurde.

Après la création de la République turque en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, les autorités interdiront la langue et les noms de famille kurdes. La langue kurde a finis par être interdite. Le mot « kurde » lui-même était pendant longtemps proscrit du vocabulaire. Face à cette négation du fait kurde et de l’identité kurde, des soulèvements de la population kurde auront lieu à plusieurs reprises, souvent violemment réprimés par l’armée turque.

Après Charlie : deux journalistes de Cumhuriyet risquent la prison

Cumhurriyet

Ceyda Karan et Hikmet Cetinkaya, deux journalistes du quotidien d’opposition Cumhuriyet poursuivis par la justice pour avoir illustré leur éditorial par une miniature de la Une du Charlie Hebdo du 14 janvier, risquent jusqu’à quatre ans et demi de prison, assurait mercredi 8 avril le journal qui les emploie.

Le procureur général d’Istanbul, a demandé début avril une peine de quatre ans et demi de prison à l’encontre de ces journalistes qu’il accuse d’« incitation à la haine » et d’« insultes aux valeurs religieuses ». Après les attentats du 7 janvier contre le siège de la revue satirique Charlie Hebdo, le quotidien d’opposition turc Cumhuriyet avait également publié quatre pages du numéro polémique des survivants de Charlie Hebdo, « Tout est pardonné ».

« Dans ces pages, il n’y a pas de contenus susceptibles d’offenser quelque croyance que ce soit, qu’il s’agisse de celles des musulmans, des chrétiens ou des juifs », avait déclaré le rédacteur en chef du quotidien, Utku Cakirözer à l’AFP. « Nous avons agi de manière très précautionneuse, par exemple en ne publiant pas la couverture de Charlie Hebdo à la « une » du journal », avait-t-il ajouté. En revanche, deux chroniqueurs du journal avaient à titre personnel, pris la responsabilité de publier au-dessus de leur éditorial la couverture polémique de Charlie Hebdo, une publication qui leur a coûté une enquête judiciaire. Après la publication du numéro, un parquet de Diyarbakır — ville du sud-est de la Turquie — s’est saisi de l’affaire.

Ceyda Karan et Hikmet Cetinkaya, journalistes au quotidien d'opposition turc Cumhuriyet
Ceyda Karan et Hikmet Cetinkaya, journalistes au quotidien d’opposition turc Cumhuriyet

Un procès pour « blasphème » et atteinte aux « valeurs religieuses »

Au lendemain de la publication, le tribunal avait ordonné l’interdiction de la diffusion de tout contenu en lien avec le numéro polémique de Charlie Hebdo, notamment sur les réseaux sociaux où la Une avait rapidement circulée. Au total, 166 liens d’articles ont été censurés, les chroniques en question ont été retirées de la toile. La page Wikipédia sur le prophète Mahomet était elle aussi inaccessible.
En tout, les 1 280 plaintes déposées auprès du tribunal ont mené à une enquête judiciaire contre les deux journalistes accusés de « blasphème » et d’« atteinte aux valeurs religieuses partagées par l’ensemble de la société ». L’acte d’accusation avait ensuite été transféré devant le tribunal correctionnel d’Istanbul qui s’est saisi de l’affaire.

Déjà en janvier, l’édition de ce numéro avait attisé la foudre des autorités qui n’avaient pas hésité à investir l’imprimerie du journal avant que la diffusion ne soit finalement autorisée, une heure après. Dans le quartier de Şişli devant le siège du quotidien, des groupes islamistes radicaux avaient manifesté, une centaine de CRS protégeaient le siège du journal. La circulation a été bloquée pendant plusieurs semaines.

Fin mars, deux caricaturistes du magazine satirique Penguen, Bahadir Baruter – un des fondateurs du magazine – et Özer Aydogan, avait aussi écopé d’onze mois de prison ferme, une peine ensuite transformée en amende de 7 000 liras turcs (2 500 euros). Les journalistes étaient jugés coupables d’avoir signé en août 2014 la Une de l’hebdomadaire avec l’image du président de la République, Recep Tayyip Erdoğan, dans une attitude qualifiée de « dégradante ».

Cumhuriyet, principal quotidien d’opposition turc a été fondé en 1924 par un proche de Mustapha Kemal Atatürk, le fondateur de la République de Turquie, ayant introduit après son arrivée au pouvoir une série de réformes laïques dans le pays.

Je suis Hrant Dink

Hrant Dink, journaliste de Agos, un journal arménien été tué en 2007 alors qu'il sortait de son bureau

Le 19 janvier 2007, Hrant Dink, le directeur de publication de l’hebdomadaire turco-arménien bilingue Agos, était froidement abattu de trois balles dans la tête alors qu’il quittait la rédaction de son journal à Istanbul. Un assassinat qui avait suscité la consternation en Turquie, à l’instar des événements de janvier après l’attaque des locaux de Charlie Hebdo. Portrait d’un personnage et d’une figure de la liberté d’expression en Turquie, assassiné pour avoir fait preuve de courage, en heurtant des convictions préétablies dans son pays.

Au lendemain de son assassinat, l’ancien premier ministre et actuel président Recepp Tayyip Erdogan avait aussitôt déclaré que la « liberté d’expression en Turquie » était visée par ce crime. Plusieurs centaines de manifestants s’étaient rassemblés spontanément sur les lieux du meurtre scandant : « nous sommes tous Hrant Dink » à l’image des manifestations du 11 janvier dernier en soutien à Charlie Hebdo. Le journaliste d’origine arménienne appartenait à la nouvelle génération courageuse de Turco-Arméniens désireux de faire connaître les opinions, les difficultés et les souffrances des minorités. Non pas seulement celles des minorités arméniennes, mais surtout de toutes les minorités de Turquie.

Fervent défenseur de la démocratie et de la liberté d’expression, il fut le premier à qualifier le massacre des arméniens en 1915 de « génocide ». Il n’a pas hésité à affirmer des prises de positions courageuses, heurtant parfois les convictions de l’Etat et d’une majorité de turcs sur une question encore tabou en Turquie. Le journaliste avait été poursuivi en justice pour avoir déclaré en conférence qu’il ne se sentait pas « turc » mais « arménien de Turquie » et pour avoir tenu dans l’une de ses chroniques des propos « d’insultes à l’identité turque ». De nombreux médias n’avaient pas manqué de le qualifier de « traître ». Pendant des années, le journaliste faisait les frais d’un véritable lynchage médiatique.

Le vendredi 24 avril, journée de commémoration des cents ans du « génocide » arménien, des centaines de personnes lui ont rendu un vibrant hommage. Les mains liées par des cordes, le portrait du journaliste était élevé en tête du cortège devant la gare d’Haydarpaşa d’Istanbul. Un lieu symbolique dans la mesure où cent ans plus tôt, le premier convoi d’intellectuels arméniens était déporté en ces lieux. Rassemblés devant la gare désaffectée, les manifestants voulaient envoyer un message fort. Et surtout briser un tabou qui subsiste encore aujourd’hui au sein de la société turque. Sur les pancartes, on y lisait des noms, ceux de Taniel Varujan, Nerses Papazyan, Nazaret Dağavaryan, des intellectuels arméniens déportés au début du siècle dernier.

Des centaines de personnes se sont mobilisés pour commémorer les cents ans du massacres d'arméniens en 1915 à Istanbul.

Au milieu de la foule, Elim, arménienne de Turquie, brandissait en haut du cortège le portrait de Hrant Dink. « Il était le symbole de la fraternité et de la mobilisation de la nation à travers son combat en Turquie, où il tentait de démontrer aux gens la réalité de l’Histoire, ce qu’il s’est vraiment passé en 1915, et ce que le gouvernement et les Etats ont causé au peuple arménien, et à d’autres peuples », avait-elle déclaré à Horizons Médiatiques.

Et si Elim participait à ce rassemblement ce jour-là, c’était aussi parce que son grand-père, âgé de quinze ans après le massacre, comme beaucoup d’Arméniens de son époque avait changé son identité. « Après 1915, il a dû changer de nom. En fait après le génocide, beaucoup d’Arméniens d’Anatolie ont dû adopter la nationalité turque. C’était en quelque sorte une manière de se protéger », nous expliquait-t-elle.

cordes commemoration massacre 1915

Dans sa dernière chronique publiée dans Agos, Hrant Dink avait exprimé sa profonde tristesse de voir sa boite mail saturée de messages de haine et de menaces, et il envisageait de quitter le pays tout comme le firent nos ancêtres en 1915… Sans savoir où nous allions… Marchant sur les mêmes routes qu’ils avaient autrefois parcourues… subissant les mêmes supplices et connaissant les mêmes souffrances… ». À plusieurs reprises, il insistait sur le processus de démocratisation qui était selon lui, la condition d’une reconnaissance du passé en Turquie. Une démocratisation bien plus importante selon lui que la reconnaissance en elle-même du génocide des Etats étrangers.

Huit ans après sa mort, la justice turque a reconnu que son meurtre était l’œuvre « d’une organisation criminelle ». D’après plusieurs journalistes d’investigations, certains membres des forces de l’ordre et des services de renseignement de l’époque auraient été informés des préparatifs de l’assassinat, mais n’aurait rien fait pour l’en empêcher. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ayant rendu des conclusions similaires, avait alors condamné la Turquie en 2010.

Contourner la censure, un jeu d’enfant pour les internautes turcs

Twitter Turquie

Les internautes turcs y sont désormais habitués : comme souvent, le lundi 6 avril, les autorités du pays ont bloqué Youtube, Twitter et Facebook. En cause, la diffusion d’une photographie présentant le procureur tué Mehmet Selim Kiraz, avec un pistolet sur la tempe.

L’image du procureur assassiné prise lors de la prise d’otage du 31 mars au Palais de Justice d’Istanbul, avait de quoi faire polémique. D’abord pour des raisons d’éthique journalistique, l’image ayant été publiée dans plusieurs médias turcs. Ensuite, parce qu’elle plaçait aussi le gouvernement dans une position délicate. Des médias d’opposition au régime islamo-conservateur ayant critiqué via cette photo les failles sécuritaires du pouvoir en place. D’autres quant à eux l’ont utilisé en insistant sur les points qui selon eux, restaient à éclaircir dans cette affaire. Pour rappel, les auteurs de cette attaque attribuée au DHKP-C, un groupe d’extrême gauche turc, demandaient des explications sur la mort de Berkin Elvan. Le garçon de 15 ans est décédé le 11 mars 2014 après un an de coma des suites de ses blessures provoquées par une grenade lacrymogène lancée par la police lors des émeutes de Gezi en mai 2013. Le procureur était en charge de cette affaire.

La photographie du procureur avait alors très vite circulée sur les réseaux sociaux quelques jours après son assassinat, avant que le Premier ministre turc ordonne temporairement le blocage de ces sites. Pendant quelques heures, les internautes ont donc été dans l’impossibilité d’accéder aux réseaux sociaux, avant que les autorités ne décident de lever l’interdiction après le retrait des photographies. Dans la soirée, le parquet d’Istanbul a ouvert une enquête contre les quotidiens Hürriyet, Cumhuriyet, Posta et Bugün. Les quotidiens sont soupçonnés de « propagande de terrorisme » pour avoir publié l’image sur laquelle apparaît le sigle du DHKP-C, l’organisation classée terroriste en Turquie.

De manière générale, les médias turcs sont souvent soumis à des interdictions de couverture. En janvier dernier, après l’attaque survenue dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, près de 166 liens d’articles en lien avec la Une du 14 janvier, avaient été retirés des réseaux sociaux. La page Wikipédia du prophète Mahomet avait aussi été censurée, d’après une source proche du dossier.

Les internautes, nouveaux témoins de l’information

Malgré la censure opérée lundi 6 avril, près de trois millions de tweets ont quand même été postés, précisait sur son site le quotidien de référence turc Hürriyet. Dès l’annonce du blocage, toutes les combines circulaient pour continuer d’accéder aux sites bloqués sur la toile. De l’utilisation d’un réseau VPN, à celle du navigateur Tor, les internautes ont usé de toutes les techniques pour accéder aux sites censurés au moment du blocage. Pour ces utilisateurs, contourner la censure devient un jeu d’enfant.  À l’aide de ces outils, certains d’entre eux se chargent parfois de couvrir en direct l’information via leur compte Twitter à défaut de ne pas être informé lorsque certains événements graves se produisent.

Des événements graves à l’exemple de la prise d’otage du Palais de justice d’Istanbul. Les chaînes d’information en continu n’avaient alors pas pu assurer la couverture de l’événement après une décision de l’organisme de contrôle d’audiovisuel d’interdire la retranscription d’images en lien avec la prise d’otage.

En parallèle sur Twitter, l’information a été relayée pendant plusieurs heures, les citoyens devenant ainsi témoins de l’information. Une couverture médiatique parallèle s’est peu à peu mise en place sur la toile. « On ne pouvait pas s’attendre à ce que les journalistes puissent assister aux échanges de tirs en direct au Palais de justice, c’est tout à fait normal. Ce qui ne l’est pas, c’est que les médias turcs n’ont pas eu la possibilité de couvrir l’événement » précise Erol Önderoglü, représentant du bureau de Reporters Sans Frontières en Turquie.

Le journaliste a également observé que très vite, l’information s’est  développée sur les réseaux sociaux, qu’il décrit comme « un terrain assez vaste ». Un terrain sur lequel les journalistes des médias turcs essayaient tant bien que mal « d’observer et d’informer dans la mesure du possible» au moment des faits.
Même si rapidement, beaucoup de rumeurs ont fait le tour de la toile, « des informations non vérifiées ni confirmées se sont inscrits dans cette couverture médiatique » déplore-t-il. « D’abord on a entendu dire que le procureur n’était pas atteint, qu’il avait juste perdu connaissance, ensuite qu’il était légèrement blessé, puis qu’il avait pris trois balles dans la tête. Peu de temps après, il a été annoncé qu’il avait perdu la vie ».

En mesurant l’impact de cette interdiction,  le représentant de RSF s’est vite rendu compte que les chaînes d’informations avaient été les plus touchés par la censure. « Quelques heures après avoir éteins la télévision, j’ai eu accès à l’information sur Twitter, via mes mails. Il m’était inutile de regarder les chaînes d’information en continue. La prise d’otage était annoncé, mais les médias précisaient qu’ils étaient dans l’impossibilité d’en dire plus ».

« En Turquie, chaque affaire sensible fait désormais l’objet d’une interdiction de publier », observe Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. « La banalisation de cette censure pure et simple est d’autant plus inquiétante que l’exécutif en assume de plus en plus la responsabilité. Il foule aux pieds le droit de la population d’être informée sur un sujet d’intérêt général » précise-t-il sur le site de Reporters Sans Frontières.

Les émeutes de Gezi en mai 2013

L’année dernière, lors des émeutes qui ont eu lieu au parc de Gezi en mai 2013, la couverture des événements rendue difficile a été principalement assurée sur Twitter. Les correspondants étrangers ayant subi pour la première fois le même sort que des journalistes turcs. Au total près de 150 correspondants étrangers ont été atteints par des violences policières, blessés par des capsules de gaz en caoutchouc, ou des grenades lacrymogène, lors de la couverture des manifestations à Istanbul. « Les journalistes étrangers étaient présentés comme des espions qui contribuaient à une conspiration en provenance de l’étranger menaçant le régime turc » précise Erol Önderoglü, représentant d’RSF. Dans le même temps sur Twitter s’est aussi établie une couverture de l’information.

« Twitter était le seul moyen de communication susceptible de nous sauver la vie en nous fournissant une foule d’information offrant un avantage substantiel sur le terrain de la lutte politique » écrivait en janvier 2014 Deniz Yenihayat dans le journal T24 d’Istanbul. « Lors des événements du parc Gezi se sont mises en place une solidarité et une mobilisation via les réseaux sociaux. Ainsi lorsqu’un jeune s’est fait tabasser par un agent de sécurité dans le métro d’Istanbul, des milliers de personnes se sont immédiatement mobilisées via les réseaux sociaux et ont organisé des rassemblements pour lutter contre cette injustice (…) Aujourd’hui, grâce à ces banlieues virtuelles que sont les réseaux sociaux, le peuple occupe désormais une place prépondérante dans le débat d’idées » soulignait-il dans son article intitulé « Au moins sur Twitter, on se marre ! ». Une déclaration assez révélatrice d’un mouvement populaire de plus en plus jeune dont la soif de liberté les pousse à s’organiser sur les réseaux sociaux, en parallèle d’une vague de réformes liberticides qui se concrétisent sous la forme de la censure en Turquie.

La Turquie était en 2014  classée deuxième derrière les États-Unis en ce qui concerne l’usage des réseaux sociaux, selon le quotidien d’information Türkiye. Quand il s’agit de Twitter, elle arrive en tête avec 31.10 % d’internautes abonnés au réseau, juste devant le Japon (28 %).

Instant Articles : le nouveau joujou Facebook

Facebook média

Nouvelle étape dangereuse pour l’indépendance des médias sur internet : après plusieurs mois de rumeurs et de négociations, une dizaine de grands éditeurs web ont signé un accord avec Facebook pour publier des articles directement sur le réseau social. La proposition en apparence alléchante n’est pas sans inquiéter certains médias déjà dépendants du géant Google.

Publier des articles en instantanée sur son site, c’est le nouveau pari Facebook expérimenté sur son application iPhone avec l’accord de neuf médias américains parmi lesquels le New York Times, BuzzFeed, National Geographic, The Atlantic et NBC. Le projet, baptisé Instant Articles, est basé sur un accord dans lequel les médias acceptent de perdre « une partie du contrôle sur les moyens de distribution » en l’échange d’une publication instantanée sur Facebook. The Guardian, BBC News, Bild et le Spiegel devraient dans les jours à venir également participer à l’expérimentation. Pour le moment, aucun média français n’a signé, mais ce n’est qu’une question de temps. Sur France Info, Laurent Solly, directeur général de Facebook dans l’Hexagone, a annoncé que plusieurs journaux français testeront également ce système d’articles instantanés « dans les prochaines semaines ».

Le poids de Facebook dans l’audience des médias numériques n’a cessé de croître ces derniers temps : il représente 14 à 16 % du trafic du New York Times, un chiffre qui a doublé au cours de derniers mois. En France, le site d’information 20 Minutes estime la part d’audience venue des réseaux sociaux à 15 % environ. Pour Le Monde, elle est d’environ 10 %, dont la grosse majorité en provenance de Facebook. Et un site d’information et de divertissement comme Buzzfeed, dont la stratégie tourne autour de la vitalité des contenus, avance le chiffre record de 75 %.

Les journaux concernés espèrent attirer plus de lecteurs. Même si Facebook affirme qu’ils pourront conserver 100 % des revenus publicitaires associés aux articles, quelques zones d’ombres subsistent. Avec ce nouveau « kiosque numérique », le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg promet aux médias et aux internautes une publication d’articles « nativement mobiles » apparaissant « dix fois plus vite » que ceux ouverts sur un site mobile, prenant huit secondes à s’afficher, à cause des bandeaux publicitaires, des encadrés partenaires, et des cookies. Mais si le géant du net ne percevra comme il le dit aucune recettes publicitaires, au final, qu’est-ce qu’il peut bien y gagner?

Même si le site américain se défend de vouloir jouer un rôle éditorial dans ces journaux, la plupart d’entre eux restent septiques. « Notre devoir est de rendre l’expérience plus riche, plus puissante, plus mobile en France », assurait le directeur de Facebook France Laurent Solly sur France Info. « Il n’y aura aucune ingérence du site américain sur le choix, le nombre ou la forme des articles instantané s», promet une porte-parole au site Rue 89.

« L’éditeur garde le contrôle total. Facebook est une plateforme de découverte et de distribution. Notre rôle est de proposer les meilleurs outils, adaptés au mobile, pour garantir une bonne expérience utilisateur, dans une logique de partenariat. C’est un win-win. » Une proposition de Facebook qui intervient alors que plusieurs chaînes de télévision françaises pointent du doigt le réseau social. TF1, M6, France Télévisions ont écrit à Facebook, ainsi qu’à Twitter, pour leur demander de retirer des vidéos mises en ligne sur leur plateformes sans autorisation.