Un procureur turc de Diyarbakır en Turquie acquittait le 8 avril dernier la journaliste néerlandaise Frederike Geerdink, poursuivie jusque-là pour « propagande terroriste » en faveur des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), après avoir diffusé sur les réseaux sociaux des publications laissant supposer selon la justice turque, une forme de « sympathie » à leur égard.
« Le procureur a jugé que les charges contre Frederike Geerdink n’étaient pas constituées, que ce qui lui était reproché relevait du travail journalistique et pas de la propagande et a donc demandé son acquittement » avait alors déclaré Reporters sans frontières à l’issu d’une première audience qui s’est déroulée le 8 avril dernier au tribunal de Diyarbakır. Plusieurs associations internationales ont d’ailleurs assisté à son procès pour la soutenir en tant que partie civile : des représentants de l’ambassade néerlandaise d’Ankara, d’Amnesty International, de la Fédération internationale des journalistes de Bruxelles, ainsi que deux journalistes de Reporters sans frontières, Johann Bihr et Erol Önderoğlu, joints par Horizons Médiatiques.
« Elle partageait ses approches personnelles en lien avec les richesses de la région où elle habite »
Fréderike Geerdink, journaliste du site turc Diken et très active sur les réseaux sociaux, s’est vu ainsi reprochée par les autorités turques de faire de « la propagande terroriste » après avoir publié des reportages sur son site internet, où elle donnait la parole à un jeune kurde affichant un sentiment de culpabilité lorsqu’il pensait à ses « frères qui prenaient le chemin de la montagne », partis combattre Daech à la frontière près de Kobané. La justice turque reprochait aussi à cette reporter néerlandaise de 45 ans d’avoir retweeté des caricatures et fait circuler sur son compte certaines de ses chroniques jugées « compatissantes » à l’égard de la population kurde de Diyarbakır, située au sud-est de la Turquie.
« Fréderike Geerdink est une journaliste très active sur les réseaux sociaux et partageait sa vie quotidienne sur Twitter, sa vie était assez transparente sur les réseaux sociaux, mais pas seulement pour ses proches, également aux yeux de la société civile, des journalistes de Diyarbakır et des forces de l’ordre » expliquait en avril dernier Erol Önderoğlu au site d’Horizons Médiatiques. D’après l’article 7 de la loi anti-terroriste turque, la journaliste risquait jusqu’à 5 ans d’emprisonnement.
La journaliste néerlandaise Frederike Geerdink est connue comme la seule correspondante occidentale basée à Diyarbakir, où elle vit depuis 2006. Elle est l’auteur d’un livre et de nombreux articles consacrés à la question kurde, notamment sur le site Diken et sur son blog, « Kurdish Matters ». Après la perquisition de son domicile et un interrogatoire de plusieurs heures par la police antiterroriste, le 6 janvier 2015, la journaliste a été inculpée sur la base de l’article 7.2 de la loi antiterroriste soupçonnée d’avoir publié sur les réseaux sociaux des chroniques ou des messages assimilés par les autorités comme de la « propagande en faveur d’une organisation terroriste ».
Mais la réalité est tout autre, « au niveau des contenus, rien n’était vraiment susceptible d’inquiéter les autorités » souligne le représentant de Reporters sans frontières en Turquie Erol Önderoğlu. « Elle partageait ses approches personnelles en lien avec les richesses de la région où elle habite, vu qu’elle partage le quotidien des kurdes de Diyarbakır ». « Ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu, je ne suis coupable de rien, je n’ai fait aucune propagande », a insisté la journaliste lors de son audience. « C’est un procès politique (…) la liberté de la presse régresse en Turquie, c’est un fait », avait-elle déclarait à l’issu du procès.
L’accusation d’« appartenir à une organisation terroriste » reste largement utilisée de façon arbitraire en Turquie de façon à réprimer les professionnels des médias critiques des autorités. Une quarantaine de journalistes sont poursuivis sur cette base dans le cadre du procès du présumé « comité des médias du KCK », une organisation affiliée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour avoir critiqué sur Twitter un procureur, la célèbre présentatrice Sedef Kabaş est ainsi accusée d’avoir « mis un fonctionnaire public dans la ligne de mire d’une organisation terroriste ».
La question des minorités kurdes
Considéré comme une organisation terroriste par Ankara et la plupart des pays occidentaux, le Parti des travailleurs du Kurdistan mène depuis 1984 une rébellion contre l’armée turque pour réclamer l’indépendance de territoires peuplés à majorité kurdes. Le gouvernement et les médias turcs attribuent régulièrement au PKK des attentats ayant causé la mort de milliers de civils en Turquie. De son côté, l’organisation dément toujours ces accusations.
Après les attaques de l’armée turque dans le Kurdistan irakien en février 2008, des Kurdes d’Istanbul descendaient alors dans les rues. Les forces turques ont ensuite réagi en menant des actions dans le Sud-Est du pays placé en zone interdite pour les étrangers et un état d’urgence, levé depuis, fut décrété pour la population civile pendant plusieurs années.
À l’automne 2012, des pourparlers de paix qui pour l’heure, n’ont pas encore abouties, ont ensuite été engagés. Malgré le processus de négociation en cours initié par le gouvernement turque de l’AKP, les tensions restent vives. Depuis le 24 mars, l’armée turque s’est implantée dans le sud-est du pays dans une opération contre les positions de la rébellion kurde.
Après la création de la République turque en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, les autorités interdiront la langue et les noms de famille kurdes. La langue kurde a finis par être interdite. Le mot « kurde » lui-même était pendant longtemps proscrit du vocabulaire. Face à cette négation du fait kurde et de l’identité kurde, des soulèvements de la population kurde auront lieu à plusieurs reprises, souvent violemment réprimés par l’armée turque.