Avec ses codes et ses caractéristiques propres, le journalisme d’investigation – Saint Graal pour la majorité des journalistes – n’arrive toujours pas à s’imposer sur le web. Les deux seraient-ils incompatibles ?
Bob Woodward et Carl Bernstein, figures emblématiques du Washington Post qui révélèrent le scandale des écoutes du Watergate et provoquèrent la démission du Président Nixon, ont depuis longtemps raccroché leurs cravates. Mais le travail qu’ils ont fourni dans cette enquête reste encore l’un des modèles du journalisme d’investigation. Aujourd’hui, certains pourraient citer les affaires française d’Elf, Clearstream, Karachi ou plus récemment les fadettes du Monde. Car à n’en pas douter, presque tous les journalistes rêvent, ou ont rêvé, de devenir ceux qui feront éclater une affaire d’Etat. Mais l’investigation a mal vécu la naissance et le développement de l’information sur internet, alors que ce moyen tend à devenir prioritaire.
Le fonctionnement même du web n’est tout simplement pas compatible avec le journalisme d’investigation. L’un des facteurs clé : le temps. Lorsque, dans le premier, les médias cherchent à travailler à l’instant t de l’actualité via leurs sites internet – et donc de favoriser l’hyper-instantanéité de l’information –, le second demande un approfondissement conséquent dû à l’importance ou la complexité de son sujet. Certains se sont essayés à l’exercice, avec plus ou moins de succès. On ne compte encore que trop peu de réussites marquantes dans le domaine, et cela peut s’expliquer par le fait que le pari est plus que risqué. Outre la longueur des articles qui peut démoraliser le lecteur internet, la visibilité même du papier sera réduite dans le monde gigantesque du web. Et pour les médias numériques, un papier qui ne fait pas parler de lui est un papier (presque) raté. On pourra tout de même relever un exemple français : le site internet Mediapart, créé en 2008 par quatre journalistes. Il aurait réussi son modèle économique de l’abonnement payant, une petite révolution en France. Aujourd’hui dirigé par Edwy Plenel, ce média revendique son indépendance et veut offrir au lecteur une information de fond par le biais du journalisme d’investigation. Sa notoriété s’est depuis renforcée avec les révélations dans les affaires Bettencourt ou Cahuzac.
Des nouveaux médias ont su tirer parti des avantages d’internet et de sa fréquentation. C’est le cas de certains sites qui utilisent désormais le crowdsourcing, moyen original pour récolter les témoignages des internautes. Plutôt que d’aller à la pêche à l’info comme le journalisme d’investigation le prévoit, la démarche est donc inversée. Sylvain Lapoix, journaliste au site français Enquête ouverte, expliquait à France 24 en septembre dernier l’objectif de cette technique : « Quand on travaille sur un sujet, on a finalement des véritables trésors d’information qui dorment dans les dossiers des associations, des collectifs citoyens qui sont mobilisés sur des problématiques ». Pour Paul Bradshaw, fondateur de Help Me Investigate et initiateur de ce mouvement, l’avenir de l’investigation sur le web passe par « l’implication du lecteur » afin qu’il se sente concerné et donc prenne le temps de lire. Selon lui, il faut « penser à construire des relations comme les journalistes le font avec leurs sources de manière traditionnelle ». Le plus gros du travail reste ensuite le tri des témoignages et principalement leurs véracités. Pas sûr que l’on y gagne au change, même si ces enquêtes participatives deviendront un jour inhérentes au journalisme d’investigation en ligne. Un renouvellement dont le domaine aura certainement besoin.