Nouveaux médias arabes: la politique du rire

 

La caricature et la satire connaissent un succès fulgurant dans le monde arabe. Soumis à rude épreuve, les tabous et les hommes politiques sont moqués avec audace surtout depuis l’émergence des télévision satellitaires privées et des sites web décentralisés.

L’humour est un puissant désinhibiteur. À condition de ne pas terminer derrière les barreaux pour une blague un peu trop osée. Les médias commerciaux et alternatifs ont, depuis le printemps arabe en particulier, mis à profit Internet et la relative ouverture des chaînes satellitaires pour repousser certaines lignes rouges et déjouer les limitations imposées par les États.

Ce qui était inenvisageable auparavant l’est devenu un peu plus avec les changements politiques survenus dans la région. Une multitude de caricaturistes, d’humoristes et d’auteurs satiriques en tout genre se sont engouffrés dans la brèche, profitant d’un relâchement dans la répression pour se moquer du pouvoir. Le caractère délocalisé d’Internet et, dans une moindre mesure, des chaînes de télévision satellitaires, a fait le reste. Hors de portée du bâton de policier, il est plus facile de rire. La chaîne Nessma TV, connue pour ses déboires suite à la diffusion de Persepolis, le film d’animation tiré de la bande dessinée de Marjane Satrapi, a de nouveau fait parler d’elle avec la diffusion depuis mi-2012 des Guignols du Maghreb.

Des Guignols à la sauce maghrébine

Beaucoup d’hommes politiques ont modérément apprécié l’initiative de la télévision privée tunisienne – qui couvre l’ensemble du monde arabe et de l’Europe – de faire revivre les célèbres Guignols de l’info de la chaîne française Canal +, à la sauce maghrébine. L’apparition dans l’émission de la marionnette du chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, a par exemple tranché avec le traitement télévisuel habituellement réservé aux hommes politiques dans le pays…
En Tunisie, les marionnettes du président, Moncef Marzouki, ou du chef du parti au pouvoir Ennahda, Rached Ghannouchi, ont fait des ravages à l’été 2012.

De leur côté, les sites web, parmi lesquels beaucoup sont hébergés à l’étranger, regorgent de moqueries parfois grinçantes. Malgré tout, tous les tabous ne sont pas totalement levés. Le roi reste un sujet difficilement abordable au Maroc. En Égypte, la récente affaire qui a opposé l’humoriste Bassem Youssef – chirurgien dans la vie civile – présentateur de l’émission satirique Al-Barnamaj au gouvernement de Mohamed Morsi, a montré que certains sujets demeurent délicats.

Au premier rang d’entre eux, et quel que soit le pays, la religion. Rares sont ceux qui acceptent encore de rire absolument de tout, et l’autodérision s’arrête aussi souvent à la frontière de la cause nationale du moment.

Flirter avec les limites

Malgré des limites, une grande liberté de ton existe aujourd’hui pour qui veut rire de la vie politique et sociale de son pays sur le Web, pour peu qu’il prenne les mesures appropriées pour garantir son anonymat. Les médias plus institutionnels, comme Nessma TV, doivent composer avec des contraintes plus importantes, tout en bénéficiant d’une bonne marge de manœuvre pour les sujets concernant les pays voisins.

La satire politique a aussi toujours eu pour règle implicite de suivre les tangentes, et donc de flirter avec elles. En Europe, les pièces de théâtre de comédie ont connu leur heure de gloire, notamment parce qu’elles moquaient les puissants. L’humour fut aussi un bon moyen pour dissimuler les messages que voulaient faire passer leurs auteurs derrière le masque du rire. Trop heureuse de montrer qu’elle savait rire d’elle même, la classe dominante savait tolérer ces critiques, pour peu qu’elles demeurent dans des limites supportables… sans cesse remises en cause. Dans le monde arabe, le discours d’ouverture revendiqué par beaucoup de dirigeants leur impose également de laisser une relative liberté aux caricaturistes et autres humoristes. La tolérance des hommes politiques à la caricature est utile comme certificat de bonne conduite démocratique, mais elle les gêne parfois plus qu’elle ne les sert. Le monde arabe ne fait pas exception. Avec les nouveaux médias, la satire reste une pratique risquée. Mais un peu moins qu’avant.

Article rédigé par Vladimir Slonska