La BBC a été récemment critiquée pour une affaire de journalisme embarqué. La chaîne a réalisé un reportage incognito en Corée du Nord, avec des journalistes infiltrés au milieu d’un groupe d’étudiants. Face aux reproches, le reportage a bien failli ne pas être diffusé. Explications.
Capture d’écran de la page Panorama de la http://www.bbc.co.uk qui donne accès au documentaire polémique
La London School of Economics (LSE), prestigieuse école spécialisée dans les sciences économiques et sociales est une institution britannique. Elle s’est opposée à une autre institution du Royaume-Uni : la BBC. Si les deux géants s’affrontent, c’est pour un reportage réalisé en caméra cachée par la chaîne. La LSE voulait lui faire déprogrammer cette vidéo, jugeant le reportage dangereux pour le groupe d’étudiants, pas au courant du reportage en cours, dans un pays où les journalistes sont censurés et emprisonnés. Ce programme et ce point de discorde entre deux institutions montrent combien le sujet du journalisme infiltré est épineux.
Classée 178è sur 179, la Corée du Nord n’est pas réellement un pays où il fait bon vivre pour les journalistes. L’arrivée de Kim Jong-un au pouvoir fin 2011 n’a pas arrangé le contrôle absolu des informations dans le pays. Les reporters locaux ayant décidé de traiter des informations dissidentes sont traqués, les étrangers, peu appréciés dans le pays le sont aussi. Afin de réaliser « North Korea Undercover », « Clandestinement en Corée du Nord » dans le programme de la chaîne, Panorama, le journaliste John Sweeney et ses assistants se sont joints à un groupe d’étudiants de la LSE en voyage dans le pays. Le journaliste se faisait passer pour un thésard en histoire, mais la chaîne avait tout de même averti les étudiants qu’un journaliste se trouvait avec eux, sans pour autant révéler qui il était. Là où le stratagème a dérangé, c’est que selon l’école, les élèves n’avaient pas idée que le reporter travaillait pour l’émission Panorama, un programme connu pour ses vidéos d’investigation. La chaîne se défend en reconnaissant que les élèves n’ont pas été informés du tournage de l’émission, justement pour ne pas les compromettre si les journalistes avaient été démasqués.
La LSE accuse la BBC d’avoir utilisé les étudiants comme des « boucliers humains »
Chacun essaye de défendre son point de vue. La BBC veut valoriser son programme, la LSE, protéger ses étudiants. Dans un communiqué,, la London School of Economics accuse durement la chaîne.
La LSE pense que les étudiants n’ont pas reçu assez d’informations pour consentir, en toute connaissance de cause [à la présence de journalistes de la BBC]. Cependant, ils en savaient assez pour les mettre en danger si le subterfuge avait été découvert avant leur départ de Corée du Nord.
L’école, en désaccord avec les pratiques de la chaîne, va jusqu’à l’accuser d’avoir utilisé les étudiants comme des « boucliers humains« . Ils ont su, « de façon tardive » selon la LSE, qu’un reporter était parmi eux et qu’ils pouvaient se trouver en danger d’un moment à l’autre. Si les élèves n’ont pas eu toutes les cartes en mains, c’est que la chaîne voulait éviter de trop les mêler à leur reportage. Cependant, la BBC s’est servie du groupe pour infiltrer le pays avec des reporters se faisant passer pour de simples touristes, et c’est justement en ça que le cas dérange.
Alex Peters-Day, secrétaire générale de LSE Students’ Union.
Elle estime, au nom de ses camarades, que les étudiants n’ont pas eu le choix de consentir ou non à la présence d’un reporter de la BBC pendant leur voyage scolaire.
Cette polémique autour d’un programme phare de la BBC et opposant deux institutions britanniques soulève des questions déontologiques. Le journaliste peut-il tout faire pour récolter des informations ? Les reportages infiltrés ont-ils le droit de mettre en danger l’intégrité et la vie de personnes « collatérales » ? Ce sont les questions que l’on peut se poser à travers ce cas, et qui méritent débat. Le journalisme engagé comporte des risques et on peut se demander s’il autorise à des dérives comme celles énoncées par la LSE. Ces pratiques journalistiques, courantes pour infiltrer des royaumes aussi fermés que la Corée du Nord doivent être encadrées afin de ne menacer la vie de personne.
Article rédigé par Julie Clément