Un poil à gratter nommé Free Arabs

 

Avec son ton libre et provocateur, Free Arabs a rejoint le petit club des sites indépendants d’information en ligne du monde arabe. L’ambition professionnelle du pure player et sa ligne éditoriale ouvertement laïque et en faveur des libertés individuelles en font assurément un projet unique. Est-il pour autant vraiment novateur ?

Capture d’écran de la page d’accueil du site

Un nouveau venu bouscule les habitudes du secteur de l’information web arabe. Free Arabs, fondé par Ahmed Reda Benchemsi – ancien directeur de l’hebdomadaire marocain TelQuel, qui dispose aujourd’hui d’un poste de chercheur à l’université Stanford – et Nasser Weddady, se lance sur la Toile avec la devise : « democracy, secularism, fun », et l’idée de représenter l’esprit des révolutions arabes.

En anglais, avec certains articles en arabe, le site propose notamment des sections enquête, politique, art, idées, satire… et « trucs drôles ». Cette dernière fait déjà parler d’elle pour son feuilleton « les quatre horribles », qui donne la parole aux quatre pires cauchemars des intégristes : la femme indépendante, le juif, l’homosexuel et l’athée.

Les quatre horribles 

Défense des libertés individuelles

Plus sérieux, ses articles traitent par exemple du port du voile en Amérique, du lobbying intensif du roi du Maroc hors de ses frontières, ou encore de la mort de Chávez. Tous sont axés autour d’une ligne éditoriale en quatre points : « dénoncer la corruption et l’autoritarisme » ; « réclamer la totalité du spectre de la démocratie, y compris les libertés individuelles » ; « défendre la laïcité pour ce qu’elle est : la liberté de choix institutionnalisée » ; « mettre en lumière la culture qui bouillonne à travers le monde arabe ». Le but affiché est de fournir des informations destinées à permettre une meilleure organisation et une meilleure visibilité de ce camp politiquement libéral, qui a participé au « printemps arabe ».

Une ligne qui frappe, au premier abord, pour sa proximité apparente avec le libéralisme anglo-saxon. Autre point étonnant, l’identification des révolutions arabes à cette « nouvelle génération de citoyens arabes : jeunes, démocrates, laïcs, et cyber-militants avertis. C’est nous. » Curieuse impasse sur les islamistes qui y ont pourtant largement participé, même si l’on pourra arguer du fait qu’ils n’en ont pas été à l’origine.

Au-delà des grandes lignes

Également intéressant, l’équipe du site dit avoir tenu sa première réunion éditoriale en marge du forum pour la liberté d’Oslo, avec le « soutien logistique du think-tank norvégien libéral Civita », dont l’objectif est de promouvoir « la liberté, la responsabilité et l’économie de marché », lui-même soutenu par la Confédération des entreprises norvégiennes (le Medef norvégien).

Bien entendu, les alliances pragmatiques poussent parfois à des accords qui ne signifient pas pour autant le partage des mêmes idées, et rien n’indique que cela soit le cas ici. Rien n’indique non plus le contraire, et le site aurait sans doute gagné à éclaircir un peu plus son point de vue, ainsi que ses modes de financement sur le long terme. Le lecteur aurait sans doute aussi apprécié savoir depuis quel endroit les articles sont rédigés. Seul un espace pour soumettre des contributions indique une probable diversité dans la provenance des articles publiés (il n’est pas pareil de publier un article sur l’Égypte écrit en Égypte plutôt qu’à Paris ou à Washington).

« Liberté », mais aussi « pain » et « justice sociale »

 Capture d’écran de la page « investigation » du site 

Pour autant, nul doute que l’initiative demeure intéressante, dans un monde où les médias plus traditionnels n’ont pas une culture du risque très poussée. Le lancement de Free Arabs, à mi-chemin entre le site militant et le journalisme professionnel, devrait ouvrir des possibilités intéressantes pour des rédacteurs, vidéastes et reporters en tout genre désirant publier leurs productions sur une plateforme plus « sérieuse » qu’un simple blog, mais pour lesquels les médias traditionnels restent fermés.

La ligne éditoriale très orientée vers la question des libertés individuelles ne devrait pas, en soi, poser de problèmes, si ce n’est que le public visé est précisément celui qui s’est soulevé contre les régimes autoritaires du monde arabe. Un public dont le fameux slogan venu d’Égypte contient certes le mot « liberté », mais aussi « pain » et « justice sociale ».

Free Arabs devra démontrer une vraie rigueur dans le traitement de l’information pour ne pas se classer à son tour dans le cimetière des projets qui ont voulu surfer sur la vague des « printemps arabes ». Se déclarer laïque, ouvert et en faveur des libertés individuelles peut facilement valoir un certificat de bonne conduite dans les pays occidentaux, qui plus est dans un paysage médiatique où ce positionnement n’est pas très fréquent. Pas dans monde arabe, où l’on en attendra sans doute un peu plus…

Article rédigé par Vladimir Slonska