Annoncé comme l’une des nouvelles pépites journalistiques américaines, le site de data journalisme Five Thirty Eight connait des premières semaines compliquées. Le créateur du projet, Nate Silver, a choisi de s’éloigner de son blog associé au New York Times pour lancer son site indépendant le 17 mars dernier. Mais le pure-player attire depuis son lancement bon nombre de critiques. Des critiques qui s’adressent au fondateur, à certains rédacteurs, voire au data journalisme lui-même.
Nate Silver à SXSW 2009, crédit photo Randy Stewart
« Nouvel hébergement pour FiveThirtyEight. Ce blog contient des contenus archivés qui ne seront pas mis à jour. Les contenus actualisés se trouvent désormais sur le site www.fivethirtyeight.com. » La citation provient du blog de Nate Silver, associé au New York Times en ligne. Depuis le 17 mars, les analyses politiques et sportives du génie des données sont hébergées sur un « vrai » site, indépendant. (Quand même lié au réseau de télévision ESPN et à ABC news)
Pour rappel, Silver s’était fait connaître au milieu des années 2000 pour ses prédictions de carrière de joueurs de Baseball américain en se basant sur les statistiques. Mais ses coups les plus spectaculaires ont été ses prévisions d’une précision presque absolue lors des élections présidentielles 2008 et 2012 aux États-Unis, en s’appuyant sur les sondages et toutes autres données disponibles. (En 2012, il prédit correctement les résultats de l’élection dans tous les états américains)
Erreurs et critiques
Le lancement du site était très attendu. Pourtant, le premier article crée la polémique. Nate Silver rédige un manifeste pour expliquer sa démarche et le traitement de l’information journalistique en fonction des données (data). Il ne se prive pas, dans ce premier post, d’égratigner les éditorialistes politiques (souvent des journalistes de référence aux États-Unis) qui selon lui « ne semblent pas respecter les normes de l’objectivité journalistique ou scientifique et, parfois, semblent même ne se conformer à aucune norme ». La réponse de ces derniers ne se fait pas attendre. Collègue de Nate Silver au New York Times, Paul Krugman explique sur son blog que les données statistiques ne peuvent suffire, même pour un sujet basique, et qu’une expérience et une expertise minimum dans le domaine sont requises. L’économiste Tyler Cowen est sur la même longueur d’onde. Pour lui, le manifeste de Silver attache trop d’importance aux données et ne prend pas assez en compte la science ou l’écriture. Autre cible des critiques précoces du site, un article du contributeur Roger Pielke Jr sur l’environnement. Données statistiques erronées, vision biaisée et mauvais travail de recherche, l’auteur David Auerbach épingle l’article « Disasters Cost More than Ever—But Not Because of Climate Change ». Un raté qui apporte de l’eau au moulin aux détracteurs du projet, qui pensent que seulement le sport et la politique (grâce aux sondages) peuvent être couverts par ce genre journalistique.
Le data remis en cause
Finalement, le genre lui-même est remis en cause. Pour la journaliste et essayiste américaine Elisabeth Donnelly, Five Thrity Eight ne présente qu’une approche très ennuyeuse, dénuée d’animation dans l’écriture, selon son article sur le site de commentaire Flavorwire. Pour résumer, les données statistiques pures ne font pas un article. L’économiste Tyler Cowen pointe lui, l’écart de ton entre l’écriture et le public : « trop superficiel pour les lecteurs experts dans le domaine, mais trop complexe pour les lecteurs lambda ». Économiste et auteure à New York, Allison Schrager met en garde , sur son blog, contre la vision parfois biaisée des analystes de statistiques. Bien sûr, les observateurs, Mme Donnelly en tête, reconnaissent que le site n’en est qu’à ses balbutiements. Ils attendent de voir, comme pour les autres pure-players potentiellement révolutionnaires (First Look Media/The Intercept , déjà évoqué sur ce blog, ou Vox.com, analysé par Sonia Baritello), comment la ligne éditoriale, le ton ou l’affluence vont évoluer. Un donnée semble cependant certaine, les statistiques pures peuvent être à la base, mais ne suffisent pas au journalisme.
Article rédigé par Blaise Fayolle