Le rapatriement progressif des soldats français présents au Mali a commencé. Les citoyens maliens attendent maintenant les prochaines élections pour pouvoir reconstruire leur pays et avancer vers une sortie de crise. C’est dans ce contexte difficile que s’est déroulée, du 25 au 28 mars 2013, une formation destinée aux journalistes maliens, organisée par l’association française Reporters Solidaires.
Nous avons rencontré Gérard et Marie-Jeanne, journalistes et membres de Reporters Solidaires, qui animaient cette nouvelle session dans la ville de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Sécurité oblige.
Horizons Médiatiques: Pourquoi avoir choisi Bobo-Dioulasso pour former des professionnels maliens ?
Gérard C./Reporters Solidaires: C’est surtout dû au contexte. Ils n’ont pas voulu que l’on prenne de risque. En novembre, on avait aussi délocalisé la formation, pour les mêmes raisons. On a ici un bon lieu de stage, et un bon feeling avec notre partenaire burkinabè, l’UJCP-HB (Union des Journalistes-communicateurs et correspondants de presse des Hauts-Bassins). Les Maliens ont voyagé trois jours en bus, c’est dire s’ils sont motivés !
HM: À qui est destinée cette formation ?
GC/RS: Elle est destinée à des journalistes maliens de la région de Tombouctou. C’est notre partenaire, l’AJSRT (association des journalistes solidaires de la région de Tombouctou), qui choisit les journalistes qui y participent. Nous avons pour cette session 11 stagiaires, dont 9 journalistes professionnels. Les deux autres travaillent au conseil régional de Tombouctou (l’un est conseiller régional, le second, conseiller technique). Leur présence est un peu surprenante, mais, sans eux, pas de formation possible. Les autres stagiaires sont des journalistes confirmés, qui occupent souvent une fonction importante dans leur média. Ils ont tous participé à la dernière formation qui a eu lieu en novembre 2012, ici même, à La Villa Rose (un hôtel de Bobo-Dioulasso).
HM: Quels thèmes avez-vous abordés ?
GC/RS: Nous avons choisi deux thèmes : la réconciliation nationale et les élections. Ensuite, nous abordons de nombreux sous-thèmes, principalement autour de notions déontologiques et éthiques, parce que les journalistes maliens sont parfois confrontés à des situations très compliquées. Certains travaillent par exemple pour la presse d’État, ou dans des médias contrôlés directement par de grands industriels. Les pressions de toute sorte sont naturellement courantes, et il est parfois difficile d’y résister. Par ailleurs, même s’il s’agit d’un métier très respecté dans la société malienne, le journalisme y est relativement mal rémunéré. D’où les tentations liées à la corruption, fréquentes dans un pays extrêmement pauvre, auxquelles il faut aussi savoir résister. Ces questions de comportement du journaliste, de l’éthique, de la déontologie, sont d’ailleurs au cœur de nos discussions.
HM: Quel est le contenu de cette formation ?
Marie-Jeanne D./Reporters Solidaires: Quel que soit le lieu de la formation, on parle de déontologie. Il ne s’agit pas d’un cours magistral, mais d’un échange horizontal. Nous sommes tous journalistes, nous faisons le même métier. Le but, c’est que des professionnels de différents pays puissent échanger leurs points de vue, leurs expériences, parler des lois de notre métier commun, de l’application différente de ces lois sur le terrain… Grâce à cette confrontation, cet échange, on progresse mutuellement. D’habitude, on publie à la fin de chaque formation un journal écrit de 6 pages, que l’on a baptisé « Bobo Info ». On le réalise tous ensemble, et intégralement, du choix des sujets à la mise en pages. Mais cette fois, nous ne sommes que deux formateurs, et ça ne faisait pas partie de nos objectifs.
HM: En ce qui concerne le journalisme au Mali, que pensez-vous du projet « Une rédaction à Sévaré », initié par le ministère malien de la Défense et la Maison de la presse du Mali ? (lire notre article sur le sujet)
GC/RS: Nous en avons entendu parler. À partir du moment où l’armée est partie prenante, le journaliste ne peut pas faire son travail librement. Je crois qu’il n’y a pas à discuter.
HM: Quel est, à votre avis, la situation du journalisme au Mali ?
MJD/RS: Ils vivent des choses compliquées, surtout en ce qui concerne la sécurité. Les journalistes qui participent à la formation nous disent qu’ils doivent être très prudents. Leur première préoccupation, c’est vraiment la sécurité : comment allez faire des reportages en dehors des villes sans être pris pour cibles, par des reliquats de groupes djihadistes ou d’autres groupes armés ? Plusieurs d’entre eux ont déjà fait de la prison. Ils ont beaucoup de problèmes pour faire leur travail. En novembre 2012, un confrère nous avait expliqué comment il enterrerait ses documents pour ne pas qu’ils soient détruits, comment il escaladait les bâtiments pour prendre une photo sans être vu.
HM: Quelles sont les difficultés rencontrées pendant cette formation ?
GC/RS: En premier lieu, on vit dans un pays très riche, donc on bénéficie de moyens matériels importants pour exercer notre métier. Ce n’est pas le cas pour eux. Par exemple, certains travaillent sans internet, parfois même sans électricité. Il y a aussi des différences culturelles, comme les conflits d’intérêts ou la proximité avec des personnalités politiques. Et puis des questions plus complexes, comme le regard sur les Touareg, sur la peine de mort…
HM: L’association mène-t-elle d’autres formations de ce type en Afrique ? d’autres actions ?
MJD/RS: Les prochaines formations se tiendront au Burundi, pour la première fois dans cette région de l’Afrique ; en Guinée, où l’association avait mené sa toute première action ; et peut-être au Maroc, à la demande de journalistes sportifs de l’UJSA (union des journalistes sportifs africains). Nous formons des formateurs, qui doivent ensuite être autonomes et former leurs collègues sur les questions que nous abordons. Comment dit-on ? On ne donne pas le poisson, mais le moyen de le pêcher… L’année dernière, deux journalistes bobolais sont venus étudier pendant trois mois en master de journalisme à Lyon II. Cette année aussi, deux autres journalistes devraient venir à Lyon. Nous avons aussi un projet de création d’un master de journalisme à Bobo-Dioulasso, qui serait ouvert aux étudiants d’Afrique de l’Ouest, en partenariat avec l’université Lyon II.
Nous avons posé quelques questions à l’un des bénéficiaires de la formation. Almahadi Touré travaille depuis 11 ans à l’agence malienne de presse et de publicité (AMAP), un quotidien public national. Il est également président de l’association des journalistes solidaires de la région de Tombouctou (AJSRT).
Horizons Médiatiques: Quelle est, à votre avis, la situation au Mali ?
Almahadi Touré: Ces derniers temps, il y a eu une recrudescence de la violence de la part des Touareg. Certains se sont convertis en brigands armés, et attaquent les voyageurs. C’est une autre forme d’insécurité qui s’est réinstallée, d’où la grande inquiétude de la population. Ce climat d’insécurité complique la vie des gens qui habitent en brousse, loin des cercles de chefferie [découpage administratif datant de la colonisation, encore utilisé au Mali].
HM: Un mot sur le journalisme dans votre pays ?
AT: A 70 km de chez moi, il y a eu pendant 6 jours une réunion de tous les chefs djihadistes, sur une colline. Je ne m’y suis pas rendu, mais je me suis renseigné pour savoir le nombre de participants, de véhicules, ce qui s’y passait, etc. J’ai envoyé mon article à un confrère au Burkina qui l’a publié sur l’internet. Quand les djihadistes l’ont appris, ils ont fait un communiqué déclarant que si jamais cela se reproduisait, ils considéreraient que le sang, la vie et les biens du responsable seraient haram. Toute communication avec l’extérieur était interdite. Suite à cela, beaucoup de journalistes ont eu peur et sont partis vers le sud. Nous sommes restés à nos risques et périls. Et nous avons quand même réussi à travailler.
HM: Avez-vous participé à la journée « presse morte » suite à l’arrestation de Boukary Daou ?
AT: Je n’y ai pas participé. Je travaille pour la presse publique, or c’est surtout la presse privée qui s’est mobilisée. Voyez les journalistes qui sont ici : ils ont tous fait grève. Ce n’est pas qu’ils étaient tous d’accord avec Boukary, mais c’est pour le principe. Parce que si on commence à arrêter les journalistes, alors plus rien ne va.
HM: Que pensez-vous du projet de centre de presse mobile pour couvrir le conflit(« Une rédaction à Sévaré ») ?
AT: Tout ce que l’on déplore, c’est que l’on n’a pas été sollicités. Notre association compte une cinquantaine de membres qui travaillent tous dans la région de Tombouctou. Aucun n’a été sollicité. Nous pensions vraiment que nous serions approchés pour ce projet, mais ils ont choisi des journalistes du sud, qui n’ont pas vécu le conflit…
HM: Vous êtes arrivé ici un jour après vos collègues. Que s’est-il passé ?
AT: J’ai mis quatre jours pour venir. Depuis Tombouctou jusqu’à la frontière, je n’ai pas eu de problème. A la frontière, les passagers des deux cars étaient soumis à un racket par les militaires burkinabè. Chacun devait payer la somme de 2000 FCFA (environ 3 euros). Alors que je filmais la nature, un agent en civil a surgi et a saisi mon appareil, en me disant : « vous n’avez pas le droit de filmer ! » Il m’a conduit à la brigade, alors que mon car partait sans moi. J’ai expliqué que j’étais journaliste, mais cela n’a rien changé. On me répondait que je pourrais être un espion.
A la brigade, les menaces fusaient de partout. Ils ont tout contrôlé : mon identité, ma carte de presse… Ils ont tenté de me faire la morale, comme quoi je ne respectais pas la déontologie. Les gendarmes me disaient qu’ils allaient me signaler aux autorités burkinabè et que je serai incarcéré. Je m’en suis remis à Dieu. Un jeune officier est venu me voir : il a passé toutes les images de ma caméra en revue, et il a constaté que je n’avais que des images de paysages, de vendeuses. Il a effacé toutes mes données, en me disant que désormais je devais demander la permission avant de me projeter dans de tels « exercices ». Et ils m’ont libéré…
HM: Participez-vous souvent à des sessions de formation au Mali ? Ici ?
AT: C’est la 3ème fois que je participe à une formation avec Reporters Solidaires. La première s’est déroulée à Mopti (centre du Mali), et la dernière s’est tenue ici en novembre 2012.
HM: Avez-vous le sentiment d’avoir approfondi certains éléments ?
AT: Je connaissais déjà la plupart de ces notions, mais le rappel est important. C’est surtout les thèmes retenus par Reporters Solidaires qui sont intéressants : ils cadrent parfaitement avec l’actualité de notre pays. Les Maliens vont bientôt devoir organiser les élections et les missions de réconciliation.
HM: Quel est le meilleur conseil que l’on puisse donner aux journalistes maliens, du moins à ceux qui n’ont pas participé à cette formation ?
AT: Qu’ils s’arment de courage ! Beaucoup d’entre eux baissent les bras devant les difficultés que nous rencontrons. Il faut qu’ils affrontent avec ardeur leur travail. Dans la plus grande objectivité et sans parti pris.
Photo souvenir à l’issue de la formation
Propos recueillis par Henri Le Roux