Aux Etats-Unis, l’échange entre un journaliste freelance et la directrice éditoriale du magazine The Atlantic, publié sur le blog du journaliste le 2 mars dernier dévoile un malaise qui s’empare de la profession à l’ère du numérique.
Capture d’écran de la page d’accueil de theatlantic.com
Le 4 mars dernier, Nate Thayer, journaliste spécialisé dans les relations internationales, n’a pas simplement publié un nouveau billet sur son blog. Il a lancé un véritable pavé dans la mare du journalisme numérique, qui peine décidément à trouver un modèle viable.
Plus tôt dans la journée, Nate Thayer avait publié un article fleuve sur les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sur le site NKNews.org. Par mail, Olga Khazan propose alors au journaliste de publier son article dans son magazine. Elle lui demande simplement de le raccourcir, autour de 1 200 mots. Seul bémol : ce travail ne sera pas rémunéré. « Nous n’avons pas les moyens de vous rémunérer pour cela. En revanche, nous avons 13 millions de lecteurs« .
Un duel épistolaire, très correct, s’engage alors entre les deux journalistes. Nate Thayer tire le premier.
James Bennet, rédacteur en chef de The Atlantic a, par la suite, publié un message d’excuse. Cela évidemment, n’a pas empêché la polémique d’enfler et les journalistes de s’emparer de cette affaire comme d’un point de rupture évident entre le journalisme papier et son équivalent numérique.
« Le journalisme n’est plus ce qu’il était »
Felix Salmon, du groupe Reuters, a été le premier à réagir. S’interrogeant sur le statut du pigiste dans la révolution numérique actuelle, il écrit : « The Atlantic a récemment offert 125 000 dollars pour six articles au même journaliste. Comment The Atlantic a pu tomber aussi bas, aussi vite ? La réponse est simple, c’est une question de contenu. Le magazine The Atlantic paraît dix fois par an, ce qui signifie qu’il publie en un an, ce que le site Internet du même groupe est capable de publier en une semaine. Quand le volume des articles publiés est multiplié par 50, le prix de l’article diminue forcément« .
Felix Salmon note une autre différence fondamentale entre le journalisme papier et web : « Le site Internet de The Atlantic emploie actuellement 50 journalistes, soit plus que ce que le magazine n’a jamais compté d’employés. Voilà la plus grosse différence entre le journalisme papier et numérique« .
La contribution la plus cinglante nous vient cependant d’Alexis Madrigal, l’un des directeurs du pôle web de The Atlantic. Dans un longue tirade, Madrigal s’interroge sur l’avenir du journalisme, sous sa forme la plus classique. Et n’hésite pas à se montrer réaliste : « Les meilleurs articles, les plus complets, ne suffisent pas. Ils feront venir 1000, 3000, peut-être 10 000 visiteurs mais vous avez besoin de centaines de milliers de visiteurs pour faire fonctionner un gros site. J’imagine déjà les journalistes old-school pleurer. « Ce pauvre type, il ne regarde que les chiffres, il n’y a que ça qui l’intéresse ». Mais le journalisme n’est plus ce qu’il était. J’aimerais pouvoir vous dire, Mr. Thayer, que j’ai une meilleure réponse. Mais je n’en ai pas ».
Article rédigé par Robin Andraca