Journalistes au Québec : libres ?

Le 28 avril 2015, le monde fêtait la liberté de la presse. Le même jour à Montréal, quatre prix étaient décernés à de jeunes talents du journalisme dans le cadre du concours de journalisme étudiant organisé par l’association des Amis du Devoir (quotidien national). Pour la troisième année consécutive, les membres de l’association fondée en 1910 ont tenu à saluer le travail de la nouvelle génération. La date est symbolique : c’est de la relève que dépend la liberté de la presse de demain.

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Pour un métier libre

Ceux qui ont créé le prix « Le Devoir de la presse étudiante » prônaient « l’indépendance de la presse ainsi que la liberté de penser et de dire ». Le choix du 28 avril comme date de remise des prix prend de fait tout son sens. Le prix décerné par les Amis du Devoir vise à « inspirer les jeunes journalistes et communicateurs en herbe à développer leur pensée critique et prendre part aux débats de société ».

Ainsi, en recevant le Devoir de la presse étudiante, les apprentis journalistes se voient décerner une preuve de leur juste application des valeurs éthiques du métier : à savoir indépendance et liberté. Le conseil de presse du Québec l’exprime clairement dans son Code de déontologie : « nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information ». 

Une liberté menacée

Dans un article paru dans Le Devoir au lendemain de la cérémonie, Laura Pelletier rapportait les propos du président du jury, Alain Saulnier. « On retrouve la fougue et la passion [dans les candidatures reçues], peu importe le contexte économique [des médias] ». Ainsi, malgré un destin qui se dessine sous les traits de la précarité, les jeunes et futurs journalistes n’ont pas froid aux yeux. Grand bien nous fasse ! Mais il semblerait qu’au Québec, d’aucuns tâchent de leur mettre des bâtons dans les roues.

C’est ce qu’a rappelé Michel David, chroniqueur politique au Devoir, lors de la cérémonie de remise des prix de la presse étudiante : « si le Québec semble à l’abri d’événements [tels que l’attentat de Charlie Hebdo en France], des journalistes y ont été victimes d’attentats par le passé et la liberté de presse y compte d’importantes lacunes ». Pourquoi ? Parce qu’il y a ici un réel problème d’accès à l’information. Et ce problème va à l’encontre même du Code de déontologie dicté par le Conseil de presse du Québec, qui institue que « les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de rechercher et de collecter les informations sur les faits et les événements sans entrave ni menace ou représailles ».

Le problème est si vivace que le 3 mai 2015 , Mylène Moisan, chroniqueuse pour le quotidien La Presse, faisait un bilan critique de la situation au Québec :

« Il y a d’autres moyens de museler la presse qu’avec un Kalachnikov. […] Il y a le contrôle de l’information dans les administrations […].

La Loi d’accès à l’information […], trop souvent, ne donne accès à rien du tout. Vous faites une demande, on vous répond qu’on vous répondra d’ici 21 jours, on se prévaut souvent du délai supplémentaire de 30 jours prévu dans la loi, on vous envoie des documents, parfois incomplets, quand ils ne sont pas caviardés, à la limite inutilisables. Si vous n’êtes pas content, vous pouvez porter plainte.

La liberté de presse est dans une camisole de force. »

 Ainsi, au lendemain de la Journée internationale de la liberté de la presse, il faut bien dire que la situation n’est pas réjouissante pour les journalistes au Québec. C’est pourquoi des initiatives telles que le prix « Le Devoir de la presse étudiante » doivent se multiplier, et perdurer. Le journalisme de demain ne se fera pas sans la jeunesse. Et si aujourd’hui, elle sait déjà s’exprimer sans se laisser museler, il nous faut encourager son bagou. Pour que les journalistes continuent d’exercer le même métier, libres et indépendants.

Facebook roi de l’info ? Bientôt.

image : pixabay.com
image : pixabay.com

1,4 milliard d’utilisateurs et le géant bleu américain en veut plus. C’est aux sites d’information que Facebook compte arracher quelques lecteurs en hébergeant lui-même des articles de presse. Des négociations sont actuellement en cours avec une demi-douzaine de sites d’information américains. Plus de liens externes sur lesquels cliquer donc, mais une lecture des articles possible directement depuis son fil d’actualité Facebook. La raison évoquée ? Un gain de temps non négligeable pour les lecteurs qui n’auront plus à attendre le chargement et la redirection vers un autre site, celle-ci pouvant prendre jusqu’à 8 secondes. Des raisons commerciales aussi ? On s’en doute. Mais pourquoi les sites d’informations accepteraient-ils ce partenariat et quels seraient les avantages pour Facebook ?

Prenant part aux négociations, c’est le New York Times qui révèle cette information, avec les noms de confrères tels que The Guardian, Buzzfeed ou National Geographic qui eux aussi considèrent sérieusement la proposition de Facebook. Le principe serait simple : ces médias fourniraient certains articles a Facebook qui les hébergerait lui-même. Mais alors, quel intérêt pour les sites d’information « traditionnels » ? Des avantages assez subtils puisque la conséquence première de ce « pacte » serait une baisse de la fréquentation sur leurs sites. Toutefois, la stratégie des médias en question serait de choisir minutieusement les articles à paraître directement sur Facebook pour cibler un public qui ne les suit pas habituellement. Ils pourraient alors espérer, à terme, attirer ces lecteurs directement sur leur propre portail.

Cela représente donc visiblement un intérêt rentable à long terme. Cependant ce dernier semble assez minime comparé aux profits que tirerait Facebook de cette association.  Les lecteurs ayant accès à la totalité de l’article sans passer par un autre site, Facebook les garde plus longtemps sur le sien. Conséquence ? L’affichage d’un nombre plus important de publicités ciblées pour les consommateurs. Il faut rappeler que la publicité est le revenu principal de l’entreprise de Mark Zuckerberg avec plus de 10,9 milliards de dollars de chiffre d’affaire publicitaire estimé pour l’année 2015.

C’est aussi Facebook qui récupèrerait les données relatives aux lecteurs permettant de mieux cibler le contenu publicitaire (habitudes en ligne, fréquence de visite, âge, identité…). Or Facebook serait-il prêt à partager ces informations précieuses avec The Guardian ou The New York Times ? Pas sûr car aucune communication n’a été faite à ce sujet pour l’instant. Enfin, l’éventualité que les lecteurs prennent goût à cette absence d’attente n’est pas à écarter. Et si à terme, les internautes évitaient les sites des médias « traditionnels » trouvant le temps de redirection trop long ? Lorsque l’on considère ces risques, on peut penser que Facebook a tout à y gagner. D’ailleurs certains médias tels que le Huffington Post ou Quartz ont tout de suite refusé l’offre.

Pour l’instant cette nouveauté ne concerne pas les médias français. La version expérimentale devrait voir le jour exclusivement aux États-Unis dans les prochains mois.

Une génération Y bien informée… sans le faire exprès ?

Crédits photo: http://www.jisc.ac.uk
Crédits photo: http://www.jisc.ac.uk

À l’heure du numérique, une certaine inquiétude plane quant à l’intérêt que portent les jeunes aux questions d’actualité. Cependant, dans quelle mesure ce mythe d’une génération désinformée est-il légitime ? En publiant ce 16 mars 2015 une étude sur les comportements de la consommation de l’information des jeunes Américains, l’American Press Institute fait tomber quelques idées reçues.

À commencer par quelques révélations : loin d’être incultes, 85 % des jeunes Américains considèrent important le fait d’avoir accès à l’information et deux sur trois consomment de l’information régulièrement. Ce que l’étude révèle surtout, c’est que Facebook représente à présent la principale source qui permet aux jeunes de « tomber » sur l’info. Alors si les jeunes suivent encore l’actualité, le font-ils exprès ? Que signifie le concept de « l’information par accident » et est-ce nécessairement négatif ?

L’étude, intituléeHow Millennials Get News: Inside the habits of America’s first digital generation”  ou « Comment la Génération Y s’informe : les pratiques de la première génération digitale américaine », a été menée sur 1 046 jeunes américains âgés de 18 à 34 ans. Cette tranche d’âge correspond à ce que les Américians appellent les Millennials, jeunes devenus adultes dans le nouveau millénaire et première génération à avoir grandi avec le numérique. Aujourd’hui, près de 90 % de ces jeunes avouent consommer de l’information via Facebook, en admettant que l’information n’est pas la raison pour laquelle ils se connectent. D’où l’idée d’« information par accident ».

Les jeunes tombent sur l’information par hasard d’accord, mais pourquoi la lisent-ils ou s’y intéressent-ils ? Selon l’enquête, « les jeunes consomment de l’information pour plusieurs raisons dont des motivations de nature civique (74 %), le besoin de résoudre des problèmes (63 %) et des facteurs sociaux (67 %), comme en parler avec des amis. »

Un phénomène nouveau ?

Pas selon les auteurs du rapport de l’American Press Institute. Pour eux, « les gens ont toujours découvert les faits d’actualité en partie par accident, que ce soit par le bouche à oreille, en tombant dessus en regardant la TV ou en écoutant la radio, et se tournent ensuite vers d’autres sources pour en apprendre davantage. »

Il semblerait alors que les réseaux sociaux n’aient pas créé le phénomène de l’information par accident mais qu’ils se contentent de l’accentuer. Si Facebook domine largement, cette génération utilise une variété de réseaux sociaux comme premier canal de l’information. Parmi eux, Youtube talonne Facebook (utilisé pour obtenir de l’information de façon occasionnelle à 83 %), mais aussi Instagram (50 %), Pinterest (36 %) ou Twitter (33 %). Ceux à la recherche active d’actu se tourneront plutôt vers de nouvelles plateformes comme Reddit. Si la majorité des jeunes intérrogés admettent visiter ces réseaux pour des raisons sociales, le partage d’articles et de faits d’actualité sur ces mêmes plateformes leur permet de s’ouvrir à de nouveaux sujets.

Capture d'écran www.americanpressinstitute.org
Capture d’écran www.americanpressinstitute.org

 

Presse et paresse

Obtenir l’information et la comprendre ne représente plus nécessairement un effort. Aujourd’hui, les junkies de l’information savent la hiérarchiser à partir des réseaux sociaux. Certains logiciels de gestion tels que HootSuite peuvent d’ailleurs les aider. La profondeur des connaissances dans chaque domaine peut certes être discutable, mais ces personnes semblent accumuler des notions sur un grand nombre de sujets.

La perte de l’habitude de payer pour s’informer témoigne aussi que les efforts liés à la recherche d’info s’amoindrissent de nos jours.

“a clear minority of young people are paying for news and information.”

L’enquête démontre en effet qu’« une minorité de jeunes payent pour accéder à l’actualité et aux informations. » Et bien que 93% des jeunes interrogés déclarent adhérer à au moins un service proposé par les médias, moins de la moitié d’entre eux disent payer pour ce service d’information. En 2015, payer pour s’informer n’est plus une évidence.

De quel type d’information parle-t-on?

Information gratuite, information par accident… Mais quel type d’information les jeunes consomment-ils ? Contrairement aux idées reçues, ils ne se limitent pas à l’actu légère comme le divertissement ou le sport mais 45% consommeraient au moins cinq ou plus sujets de hard news (sujets sérieux) régulièrement, c’est à dire de nature politique, technologique, économique, ou les sujets de société.

Capture d'écran www.americanpressinstitute.org
Capture d’écran www.americanpressinstitute.org

Avec une temporalité de l’actualité qui a évolué plus que jamais avec cette génération Y, les médias ne peuvent plus se permettre de ne pas être présents sur les réseaux sociaux. De plus, l’actualité se partage et se commente sur ces plateformes, ce qui favorise la diversité des points de vue. Ainsi, 70% des sondés déclarent que leur fil d’actu est composé d’opinions différentes.

Il serait cependant faux de penser que les jeunes obtiennent la totalité de leurs infos via les réseaux sociaux. L’American Press Institute souligne d’autres voies comme la recherche par thématique à travers les moteurs de recherche ou les blogs ou encore les groupes de médias indépendants qui regroupent des articles venant de supports divers sur un sujet précis.

L’infotainment assassine-t-il le journalisme ?

Tous les jeudis soir, sur la chaîne de télévision Radio Canada, le super-héros de l’information Infoman dépoussière le journalisme. Armé de son micro bleu, Jean-René Dufort dévoile une vision pimentée de l’actualité. L’émission consiste à souligner et dénoncer les incongruités politiques à grand renfort d’humour. La recette fonctionne depuis maintenant 15 ans mais demeure plus que jamais actuelle puisqu’elle a permis à l’émission de remporter le Prix de la meilleure série humoristique à la télévision en 2014.

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Entre divertissement et information, enquête et observation, il est difficile de qualifier justement une émission telle qu’Infoman. Le vide sémantique qui existait pour qualifier ces émissions qui relèvent à la fois de l’information et du divertissement a été comblé dans les années 1990 en France par la création du terme d’infotainment (ou info-divertissement au Québec). Toutefois, la question de leur valeur journalistique se pose encore aujourd’hui. Comme le soulignait le Conseil de Presse du Québec (CPQ) dans son magazine de juin 2012, « Depuis qu’Infoman, personnifié par l’inégalable Jean-René Dufort, a fait sa première entrevue, la question est de savoir si notre super-héros national de la satire est un journaliste – ou pas. » Certains affirment en effet avec certitude que les programmes d’infotainment n’ont rien à voir avec le journalisme.

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La page d’accueil, terre de reconquête

L’internaute serait-il frivole ? Malheureusement pour la presse en ligne, il se pourrait bien que le clic se fasse infidèle. Les médias luttent pour garder leur lectorat face à la surabondance de l’information en ligne.

La page d’accueil devient terre de reconquête pour certains médias qui y voient le lieu idéal pour séduire à nouveau les internautes. Le New York Times, en perte de lecteurs, a développé une section « Watching » sur sa homepage. Sorte d’agrégateur de news, c’est un fil d’actualité taillé sur mesure pour coller à l’info susceptible d’intéresser mais surtout de plaire aux internautes. La nouveauté réside dans le fait que ce ne sont pas des liens redirigeant uniquement sur des articles du journal lui-même. Le New York Times redirige ainsi vers d’autres sites. Pari risqué ? Pas sûr. Partant du constat que les gens ne consultent plus de la même manière les sites d’infos, le journal s’engouffre dans la brèche 2.0. « Watching » regroupe ce qui se veut être à la pointe de l’instant. Le meilleur des réseaux sociaux, des articles de sites web, des news en tout genre. Tout ceci à la sauce New York Times, autrement dit, sélectionné par l’équipe, lu et approuvé. Le quotidien mise sur sa réputation de média « sacré », journal de « qualité », « quotidien de référence ».

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