Les journalistes et la liberté d’information menacés en Thaïlande

liberte thailande

Le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-ocha s’en est pris violemment aux journalistes, disant qu’il « exécuterait probablement » ceux qui ne « rendent pas compte de la vérité ». Dernière attaque du pouvoir militaire à l’encontre des journalistes, qui confirme que la liberté d’informer de plus en plus menacée en Thaïlande.

En mars dernier,  le général Prayuth avait déclaré qu’il avait le pouvoir de faire arrêter les médias. Il a franchi une étape supérieure et a adopté une ligne encore plus dure à l’encontre de la presse, réduisant un peu plus la liberté d’expression dans le pays.

La liberté de la presse de plus en plus menacée

« Nous allons probablement juste les exécuter », a dit Prayuth, sans la trace d’un sourire, à la question posée par des journalistes pour savoir comment le gouvernement traiterait ceux qui n’adhèrent pas à la ligne officielle. «Vous n’êtes pas obligé de soutenir le gouvernement, mais vous devez rendre compte de la vérité», a déclaré le chef de la junte militaire, instant sur le fait que les journalistes doivent écrire de façon à soutenir la réconciliation nationale dans le royaume.

Le 5 mars, « Journée des reporters » dans le pays, Prayut Chan-o-cha avait expliqué que les journalistes devaient : « jouer un rôle important en soutenant les actions du gouvernement, entraînant de manière concrète une compréhension des politiques de ce dernier par le public, et ainsi réduire les conflits dans la société ». Prayuth avait apparemment été contrarié par un reportage de l’Associated Press sur l’utilisation d’esclaves dans le vaste secteur de la pêche en Thaïlande.

Prayuth, Premier ministre, est à la tête de la junte dirigeante depuis le coup d’état du 22 mai 2014. Il a renversé le gouvernement de la Première ministre Yingluck Shinawatra en mai dernier, après des mois de protestations visant à évincer cette dernière. La Thaïlande est classée par Reporter sans frontières pour l’année 2015 à la 134e place, sur 180. Soit une dégradation et un recul de la liberté de l’expression par rapport à l’année précédente de 4 places.

Les exactions, les menaces, la censure et le concept de crime de lèse-majesté qui permet d’arrêter toute personne critiquant le Royaume sous couvert de protéger la « sécurité nationale », expliquent la dégradation de la situation de la presse depuis le coup d’état du 22 mai 2014.

Le crime de lèse-majesté: une notion floue

Toute critique ou toute diffamation envers le roi, la reine, le prince héritier ou le régent sont sévèrement réprimés. En 2010, après les grandes manifestations de l’opposition à Bangkok, le nombre de procès a explosé pour atteindre 478 cas. Et le Code pénal a aggravé les peines encourues.

Les lois contre les crimes de lèse-majesté en Thaïlande sont parmi les plus sévères du monde, et ces derniers sont punis d’une peine de prison entre 3 et 15 ans. Même les journalistes étrangers basés à Bangkok sont contraints à une forme d’autocensure. Plusieurs étrangers ont été arrêtés pour lèse-majesté et des journalistes, visés par des plaintes, ont dû quitter le pays.

La Thaïlande toujours soumise à la loi martiale

Connu pour ses manières brusques et son impulsivité, Prayuth a déclaré que le pays n’est pas prêt à supprimer la loi martiale qui donne les pleins pouvoirs à l’armée, y compris en matière d’arrestation et de détention. En janvier, la junte avait forcé une fondation allemande à abandonner un forum sur la liberté de la presse disant que la Thaïlande était à un tournant sensible. Depuis la prise du pouvoir en mai 2014, la junte applique la loi martiale, qui interdit notamment toutes les réunions politiques.

Prayuth était particulièrement critique envers le quotidien thaï Matichon, accusant le journal de se rallier à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra et à ses alliés. Les échanges conflictuels sont fréquents entre le Général Prayuth et la presse, mais il semble avoir franchi une étape supplémentaire en faisant cette déclaration.

La Fédération Internationale des Journalistes (IFJ) et le syndicat national des journalistes de Thaïlande (NUJT) ont déploré ces commentaires, soulignant que cette nouvelle sortie verbale du chef de la junte illustrait le déclin continuel de la liberté de la presse en Thaïlande sur les 12 derniers mois. Et la mainmise des militaires sur le pouvoir pourrait s’éterniser encore malgré une promesse d’élections prévue pour fin 2015- début 2016. A l’heure actuelle, aucun signe de retour à la démocratie et à un gouvernement civil n’est à noter.

Ce qui ne va pas améliorer la situation pour la liberté de la presse en Thaïlande…

Contourner la censure, un jeu d’enfant pour les internautes turcs

Twitter Turquie

Les internautes turcs y sont désormais habitués : comme souvent, le lundi 6 avril, les autorités du pays ont bloqué Youtube, Twitter et Facebook. En cause, la diffusion d’une photographie présentant le procureur tué Mehmet Selim Kiraz, avec un pistolet sur la tempe.

L’image du procureur assassiné prise lors de la prise d’otage du 31 mars au Palais de Justice d’Istanbul, avait de quoi faire polémique. D’abord pour des raisons d’éthique journalistique, l’image ayant été publiée dans plusieurs médias turcs. Ensuite, parce qu’elle plaçait aussi le gouvernement dans une position délicate. Des médias d’opposition au régime islamo-conservateur ayant critiqué via cette photo les failles sécuritaires du pouvoir en place. D’autres quant à eux l’ont utilisé en insistant sur les points qui selon eux, restaient à éclaircir dans cette affaire. Pour rappel, les auteurs de cette attaque attribuée au DHKP-C, un groupe d’extrême gauche turc, demandaient des explications sur la mort de Berkin Elvan. Le garçon de 15 ans est décédé le 11 mars 2014 après un an de coma des suites de ses blessures provoquées par une grenade lacrymogène lancée par la police lors des émeutes de Gezi en mai 2013. Le procureur était en charge de cette affaire.

La photographie du procureur avait alors très vite circulée sur les réseaux sociaux quelques jours après son assassinat, avant que le Premier ministre turc ordonne temporairement le blocage de ces sites. Pendant quelques heures, les internautes ont donc été dans l’impossibilité d’accéder aux réseaux sociaux, avant que les autorités ne décident de lever l’interdiction après le retrait des photographies. Dans la soirée, le parquet d’Istanbul a ouvert une enquête contre les quotidiens Hürriyet, Cumhuriyet, Posta et Bugün. Les quotidiens sont soupçonnés de « propagande de terrorisme » pour avoir publié l’image sur laquelle apparaît le sigle du DHKP-C, l’organisation classée terroriste en Turquie.

De manière générale, les médias turcs sont souvent soumis à des interdictions de couverture. En janvier dernier, après l’attaque survenue dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, près de 166 liens d’articles en lien avec la Une du 14 janvier, avaient été retirés des réseaux sociaux. La page Wikipédia du prophète Mahomet avait aussi été censurée, d’après une source proche du dossier.

Les internautes, nouveaux témoins de l’information

Malgré la censure opérée lundi 6 avril, près de trois millions de tweets ont quand même été postés, précisait sur son site le quotidien de référence turc Hürriyet. Dès l’annonce du blocage, toutes les combines circulaient pour continuer d’accéder aux sites bloqués sur la toile. De l’utilisation d’un réseau VPN, à celle du navigateur Tor, les internautes ont usé de toutes les techniques pour accéder aux sites censurés au moment du blocage. Pour ces utilisateurs, contourner la censure devient un jeu d’enfant.  À l’aide de ces outils, certains d’entre eux se chargent parfois de couvrir en direct l’information via leur compte Twitter à défaut de ne pas être informé lorsque certains événements graves se produisent.

Des événements graves à l’exemple de la prise d’otage du Palais de justice d’Istanbul. Les chaînes d’information en continu n’avaient alors pas pu assurer la couverture de l’événement après une décision de l’organisme de contrôle d’audiovisuel d’interdire la retranscription d’images en lien avec la prise d’otage.

En parallèle sur Twitter, l’information a été relayée pendant plusieurs heures, les citoyens devenant ainsi témoins de l’information. Une couverture médiatique parallèle s’est peu à peu mise en place sur la toile. « On ne pouvait pas s’attendre à ce que les journalistes puissent assister aux échanges de tirs en direct au Palais de justice, c’est tout à fait normal. Ce qui ne l’est pas, c’est que les médias turcs n’ont pas eu la possibilité de couvrir l’événement » précise Erol Önderoglü, représentant du bureau de Reporters Sans Frontières en Turquie.

Le journaliste a également observé que très vite, l’information s’est  développée sur les réseaux sociaux, qu’il décrit comme « un terrain assez vaste ». Un terrain sur lequel les journalistes des médias turcs essayaient tant bien que mal « d’observer et d’informer dans la mesure du possible» au moment des faits.
Même si rapidement, beaucoup de rumeurs ont fait le tour de la toile, « des informations non vérifiées ni confirmées se sont inscrits dans cette couverture médiatique » déplore-t-il. « D’abord on a entendu dire que le procureur n’était pas atteint, qu’il avait juste perdu connaissance, ensuite qu’il était légèrement blessé, puis qu’il avait pris trois balles dans la tête. Peu de temps après, il a été annoncé qu’il avait perdu la vie ».

En mesurant l’impact de cette interdiction,  le représentant de RSF s’est vite rendu compte que les chaînes d’informations avaient été les plus touchés par la censure. « Quelques heures après avoir éteins la télévision, j’ai eu accès à l’information sur Twitter, via mes mails. Il m’était inutile de regarder les chaînes d’information en continue. La prise d’otage était annoncé, mais les médias précisaient qu’ils étaient dans l’impossibilité d’en dire plus ».

« En Turquie, chaque affaire sensible fait désormais l’objet d’une interdiction de publier », observe Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. « La banalisation de cette censure pure et simple est d’autant plus inquiétante que l’exécutif en assume de plus en plus la responsabilité. Il foule aux pieds le droit de la population d’être informée sur un sujet d’intérêt général » précise-t-il sur le site de Reporters Sans Frontières.

Les émeutes de Gezi en mai 2013

L’année dernière, lors des émeutes qui ont eu lieu au parc de Gezi en mai 2013, la couverture des événements rendue difficile a été principalement assurée sur Twitter. Les correspondants étrangers ayant subi pour la première fois le même sort que des journalistes turcs. Au total près de 150 correspondants étrangers ont été atteints par des violences policières, blessés par des capsules de gaz en caoutchouc, ou des grenades lacrymogène, lors de la couverture des manifestations à Istanbul. « Les journalistes étrangers étaient présentés comme des espions qui contribuaient à une conspiration en provenance de l’étranger menaçant le régime turc » précise Erol Önderoglü, représentant d’RSF. Dans le même temps sur Twitter s’est aussi établie une couverture de l’information.

« Twitter était le seul moyen de communication susceptible de nous sauver la vie en nous fournissant une foule d’information offrant un avantage substantiel sur le terrain de la lutte politique » écrivait en janvier 2014 Deniz Yenihayat dans le journal T24 d’Istanbul. « Lors des événements du parc Gezi se sont mises en place une solidarité et une mobilisation via les réseaux sociaux. Ainsi lorsqu’un jeune s’est fait tabasser par un agent de sécurité dans le métro d’Istanbul, des milliers de personnes se sont immédiatement mobilisées via les réseaux sociaux et ont organisé des rassemblements pour lutter contre cette injustice (…) Aujourd’hui, grâce à ces banlieues virtuelles que sont les réseaux sociaux, le peuple occupe désormais une place prépondérante dans le débat d’idées » soulignait-il dans son article intitulé « Au moins sur Twitter, on se marre ! ». Une déclaration assez révélatrice d’un mouvement populaire de plus en plus jeune dont la soif de liberté les pousse à s’organiser sur les réseaux sociaux, en parallèle d’une vague de réformes liberticides qui se concrétisent sous la forme de la censure en Turquie.

La Turquie était en 2014  classée deuxième derrière les États-Unis en ce qui concerne l’usage des réseaux sociaux, selon le quotidien d’information Türkiye. Quand il s’agit de Twitter, elle arrive en tête avec 31.10 % d’internautes abonnés au réseau, juste devant le Japon (28 %).

Charlie Hebdo : l’autocensure de CBC ne passe pas

Quelques heures après les attentats qui ont frappé Paris en janvier dernier, les médias du monde entier se sont retrouvés face à un choix épineux : devait-on montrer ou non les caricatures de Mahomet publiées par l’équipe de Charlie Hebdo ? CBC, le réseau anglophone de la chaîne publique canadienne, n’a pas diffusé les fameuses caricatures, contrairement à son pendant francophone, Radio Canada. Une décision qui lui est amèrement reprochée par les auditeurs.

C’est un jour triste pour le journalisme canadien lorsque la question qui détermine ce qui doit être diffusé n’est pas « comment informer ? », mais plutôt « qui pourrions nous offenser ? ».

Extrait d’un mail envoyé à CBC

Intransigeants. Jusqu’à présent, ils sont 224. 224 fidèles de CBC à dresser un bilan identique et à avoir exprimé leur désarroi. Des plaintes plus ou moins offensives. Des avis plus ou moins tranchés. « Lâche ». « Hypocrite ». « Cynique ». Dans ces courriels reçus par la rédaction, un seul mot d’ordre : CBC a failli à sa mission principale d’information.

C’est votre obligation, en tant que diffuseur national, de faire preuve de courage et de solidarité avec ceux qui sont morts en défendant leur liberté d’expression. Que vous ne voyiez pas l’ironie de votre position fait de vous de mauvais journalistes. Et des lâches. Honte à vous !

Extrait d’un mail envoyé à CBC

Les plaintes relèvent aussi l’absence de synchronisation au sein même du groupe Radio-Canada. En effet, le réseau francophone a décidé de reproduire les caricatures de Mahomet. Et contrairement au réseau anglophone, les rédactions francophones ont confirmé n’avoir reçu « aucune mise en demeure, ni menace de poursuite non plus ».

CBC se justifie

À chaud, il n’était pas difficile de deviner que la question de la diffusion des caricatures allait impliquer des questionnements au sein des rédactions. Ethique oblige. CBC avait d’ailleurs justifié dès le 8 janvier, l’issue de ces interrogations. Jennifer McGuire , la rédactrice en chef du réseau anglophone, avait joué la carte de la transparence. Dans une publication, elle expliquait son choix :

À CBC News, nous avons choisi l’option de la discrétion : montrer certaines de ces caricatures polémiques, mais ne pas montrer celles qui risquaient d’offenser les musulmans parce qu’elles représentaient le Prophète Mahomet. […]  Vous pouvez être un fervent partisan de la liberté d’expression, indigné par les actes des extrémistes et solidaire avec les journalistes français, tout en décidant que vous pouvez couvrir l’événement de manière claire et complète sans publier quoi que ce soit qui pourrait offenser les musulmans ou attiser la haine à leur encontre.

Jennifer McGuire, rédactrice en chef de CBC

Y avait-il un choix meilleur qu’un autre, une meilleure vision du journalisme et du rôle des médias lorsqu’un acte tragique et aussi fort symboliquement frappe un pays, mais dont les vagues se répercutent dans le monde entier ? Non, répond Jennifer McGuire. Elle souligne d’ailleurs qu’au sein même de CBC News, les avis étaient partagés. « Tout ça pour dire que le mot « dilemme » n’existe pas pour rien », ajoute-elle, « souvent il n’y a pas d’alternative parfaite ».

Et le dilemme est valable aussi chez les auditeurs de Radio-Canada, puisque 41 courriels de soutien ont été reçus par la rédaction anglophone. Comme si elle avait déjà imaginé le poids d’une telle décision sur les auditeurs et les réactions qu’elle risquait d’entraîner, Jennifer McGuire s’était préparée. Et la réponse tient en un mot : « journalisme ». Ou plutôt la vision qu’on a du journalisme.

Et c’est le journalisme – l’évènement – qui compte le plus. Si nous avions senti que montrer les caricatures de Charlie Hebdo était nécessaire pour rapporter correctement les événements d’hier, alors nous les aurions publiées.

Jennifer McGuire, rédactrice en chef de CBC

Et pourtant cette réponse n’a pas suffi à certains auditeurs de CBC News. Auditeurs d’autant plus troublés que pour le même média, deux choix ont été fait. En sachant que la question de la langue est particulièrement sensible au Canada, il n’est alors pas surprenant de voir, d’entendre des réactions sur une telle dualité dans un positionnement aussi fort de symbole. C’est par exemple ce que souligne l’un des courriels reçu par la rédaction de Radio Canada : « pourquoi les canadiens de langue française se voient-ils accorder un meilleur accès à l’information ? ».

Et lorsqu’un lecteur, auditeur, spectateur, reproche à un média d’information de justement, ne pas l’avoir assez informé, c’est le média même que l’on remet en question, aussi sérieux qu’il soit, la mission même du média que l’on remet en question.

Tour d’horizon

Canada anglophone ou Canada francophone, la dualité des choix qui ont été faits est assez représentative. À l’image de CBC, les médias anglophones ont été plutôt frileux sur la question de montrer les caricatures. New York Times, CNN, Sky News… Aux États-Unis, ils ont été nombreux à pencher pour cette solution. Tout comme BBC ou encore Time au Royaume Unis. Leur justification ? La même que CBC, à savoir, « prendre en compte la sensibilité des lecteurs ».

Évidemment, tous les médias anglophones n’ont pas suivi cette ligne. Le journal britannique The Economist a publié les caricatures et en a profité pour fustiger CNN : « décrire les dessins et ne pas les montrer revient à obéir aux terroristes. […] Supprimer les dessins pour lesquels ils [les journalistes de Charlie Hebdo] ont perdu la vie, c’est les tuer à nouveau. » Côté francophone, le mouvement a été plus unanime. En France et au Québec du moins, où la majorité des journaux et télévisions ont diffusé les caricatures. Dans un élan commun, douze des plus grands journaux du Québec, dont Le Devoir, La Presse et Le Droit, ont publié l’une des caricatures les plus polémiques du journal satirique, réalisée par Cabu.

La liberté d’expression nous confronte quotidiennement à un dilemme: faut-il être plus raisonnable que les fous en évitant de les « provoquer » ? Ou faut-il continuer, aller aussi loin que possible, pour débusquer l’obscurantisme? Chaque personne tranchera ce dilemme suivant sa conscience. Chaque média le règlera selon sa vocation propre.

Editorial de La Presse

Un dilemme. Tous les journaux y ont été confrontés au lendemain des attaques de Charlie Hebdo. Pas de réponse parfaite. Seulement l’expression de quelques sensibilités culturelles et d’une certaine vision du journalisme. Et il paraît évident que les lecteurs/spectateurs, se sont retrouvés face aux mêmes questionnements lorsqu’ils ont ouvert leurs journaux ou allumé leurs télévisions.

Collateral Freedom, le coup de poing de Reporters sans frontières contre la cyber-censure

le 12 mars, c’était la journée mondiale contre la cyber-censure. Une occasion pour Reporters sans frontières de frapper un grand coup. L’association a lancé Collateral Freedom, une opération de « déblocage » de sites censurés dans différents pays.

Si la censure sur internet est peu présente en France (quoique), elle est presque quotidienne dans d’autres pays. En Chine par exemple, les expatriés sont obligés d’avoir recours à des logiciels spéciaux pour contourner les barrières du gouvernement. À l’origine, Reporters sans frontières a créé la journée mondiale de lutte contre la cyber-censure principalement contre la Chine. En effet, une étude avait révélé qu’en faisait une recherche via Google sur la place Tien-an-men depuis les États-Unis ou l’Europe, on tombait sur les répressions sanglantes de 1989. Alors que depuis la Chine, seuls des sites touristiques s’affichaient. Mais en 2006, l’association diffuse une liste des pays « ennemis d’internet ». Cette liste est régulièrement mise à jour, et regroupe toutes les nations effectuant des filtrages du contenu accessible sur internet. Aujourd’hui, elle est constituée en grande partie de pays d’Asie.

Cette année, Reporters sans frontières ne se contente pas de prévenir : l’association agit concrètement, en tentant de permettre à tous l’accès à des sites censurés. L’opération Collateral Freedom, menée en partenariat avec l’ONG chinoise GreatFire, s’est donnée pour but de permettre l’accès à neuf sites bloqués dans dix pays de la liste des ennemis d’internet. C’est la technique du mirroring qui a été utilisée pour mener ce projet à bien. Le principe : héberger une copie du site censuré sur les serveurs d’entreprises internationales telles qu’Amazon, Google ou Microsoft. Si les pays concernés disposent des ressources nécessaires pour s’attaquer aux serveurs d’un site modeste, il leur serait trop coûteux de tenter de bloquer des compagnies aussi puissantes. De plus, empêcher tout un pays d’accéder à Google par exemple, serait handicapant pour beaucoup d’entreprises.

La liberté d’expression sur internet est un important cheval de bataille pour Reporters sans frontières. En plus de s’engager auprès des journalistes à l’étranger, l’association aide aussi les blogueurs engagés politiquement. Le 23 Février dernier, ils dénonçaient la condamnation du blogueur Alaa Abdel Fattah, opposant politique accusé d’agression sur un policier et d’organisation d’une manifestation illégale.

Censure turque : 68 000 sites bloqués

Selon le Hürriyet Daily News, 68 000 sites Internet sont bloqués en Turquie à ce jour, dont le site de Charlie Hebdo ou encore celui d’une association athéiste, Ateizm Derneği. 

Censurer pour mieux régner

En janvier dernier, le journal de gauche Bir Gün (« Un jour ») a diffusé sur son compte Twitter des documents qui prouveraient que, en janvier dernier, le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan aurait soutenu des groupes islamistes affiliés à Al-Qaeda. Selon leurs sources, des convois turcs escortés par des véhicules des services secrets turcs (MIT) et officiellement à destination des populations turkmènes de Syrie, contenaient en réalité des armes destinées à combattre le régime de Bachar Al-Assad. Le tribunal d’Ardana a demandé la suppression de ces contenus, qui porteraient atteinte à la sécurité nationale. Twitter, Google Plus et Facebook ont obtempéré, mais Bir Gün a continué à poster de nouveaux messages. Le journal indépendant a toutefois dû publier en une un rectificatif. Ce dernier était accompagné d’une phrase en plus petit qui disait en substance « on a été obligé de publier ce rectificatif, mais nous pensons toujours la même chose » !

La une de Bir Gün critiquait hier le Ministre de l’éducation qui a jugé que l’histoire de Robin des bois montrait le mauvais exemple aux enfants tandis que Sherlock Holmes n’était pas très sérieux a fumé le joint toute la journée. Bir Gün a dénoncé ses propos par l’humour, invitant les lecteurs à « voler pour donner aux fils du Président plutôt que pour donner aux pauvres », en référence à l’affaire de corruption dans lequel était également impliqué le fils du Président, Bilal Erdoğan.

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Dans un autre registre, le site de l’association athée Ateizm Derneği a été bloqué mercredi dernier, car les activités de l’association ont été jugées de « nature à troubler l’ordre public. » Cette association, créée un an auparavant afin de défendre les personnes en danger en raison de leur athéisme, a répondu que cette censure représentait une « interdiction antidémocratique et illégale qui porte un coup à la réputation de notre pays dans le monde. » Sur le site désormais en rade, un texte en anglais explique le point de vue des membres de l’association sur la situation, notamment en ce qui concerne la différence de traitement entre les croyants et les athées.

Il y a un double discours en Turquie. Si un athée insulte un musulman il est puni; si un musulman insulte un athée il est applaudi.

Dans le Code Pénal turc, l’article 126 stipule l’application de peines de prison pour blasphème. Le pianiste et compositeur Fazıl Say a été condamné à 10 mois de prison avec sursis en 2013 pour un tweet dans lequel il déclarait être athée et se moquait d’un imam. L’AKP (Parti de la justice et du développement), actuellement au pouvoir en Turquie, contrôle les réseaux sociaux d’une main de fer. Miss Turquie 2006, risque elle aussi la prison pour avoir posté sur son compte Instagram un poème qui se moquait de l’actuel Président turc. « The Master’s poem » avait à l’origine été publié dans le journal satirique Uykusuz.

Un contrôle qui a ses limites

Un scandale de corruption, révélé en mars 2014 par des extrait de conversations enregistrés et mis en ligne, avait forcé M. Erdoğan à procéder à un remaniement ministériel.  Le 20 mars 2014, Ankara décidait de bloquer Twitter pour des raisons de « sécurité ». Le 27 mars, le site de vidéos en ligne YouTube était à son tour bloqué. Mais ces mesures n’empêchèrent en rien les internautes d’avoir accès à ces sites, qui auront même plus de succès à partir de leur interdiction. Les tweets auraient augmentés de 138% à cette période, selon l’agence We are social. Ces contournements ont été permis par des réseaux privés virtuels (VPN) ou encore des moteurs de recherche anonymes, comme Tor. Twitter a proposé à ses utilisateurs une alternative : le tweet par SMS.

— Policy (@policy) 20 Mars 2014

Le blocage de Twitter n’aura duré que 8 jours, mais il représente un symbole fort et un bras d’honneur à la communauté internationale qui reprochait alors au Premier ministre de bafouer la liberté d’expression. Selon la chercheuse Elisabetta Costa, le pouvoir cherche depuis la révolution de Gezi à « diaboliser les réseaux sociaux », en les montrant sous un jour négatif, avilissant pour la femme et en rupture totale avec les valeurs traditionnelles de l’islam.

Lors de la révélation de ce scandale politique, M. Erdoğan a procédé à des purges au sommet, persuadé que  des partisans du prédicateur musulman Fethullah Gülen étaient infiltrés dans son entourage, dans les rangs de la police et de la justice. Gülen, expatrié au États-Unis depuis 1999, à la tête de la confrérie qui porte son nom, est un ancien allié de l’actuel chef de la Turquie. Ils sont aujourd’hui en guerre ouverte. Pour faire taire les Gülenistes, l’AKP utilise les mêmes moyens que pour empêcher les révoltes populaires : censure, contrôle, blocage. En définitive, cette méthode entraîne un sentiment de rejet du parti conservateur, qui commence à perdre de l’influence. Le journal Zaman, détenu par la confrérie Gülen, est le plus vendu en Turquie, avec 1 million de lecteurs quotidiens. Cümhuriyet, Le journal proche du CHP (parti nationaliste, opposé à l’AKP) tourne autour des 60 000 lecteurs par jour, tandis que Bir Gün se vend à 25 000 exemplaires.

Récemment, un chanteur de pop, Atilla Taş, s’est amusé sur Twitter à se moquer du Premier ministre turc, Ahmet Davoğlu. Arrêté par la police, il n’a pas pour autant mis de côté son impertinence : il a choisi de sortir un livre compilant ses meilleurs tweets !  La censure n’a pas encore gagné en Turquie, semble-t-il.

Pour la journée de la femme, la mouvance anarchiste Anarşist Kadınlar lance sur Twitter le hashtag qui signifie » #Es tu prête à lutter contre le patriarcat ? »

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Symbole d’une lutte féministe — mais surtout universelle — qui résonne avec d’autant plus de force après le drame de la jeune étudiante Özgecan Aslan, assassinée puis brûlée par le chauffeur du bus qui la ramenait chez elle le mois dernier.