La BBC lance BBC Taster, laboratoire du journalisme en ligne

S’adapter aux exigeances d’internet : un véritable défi pour les médias traditionnels. Et qu’on le veuille ou non, il faudra pourtant y passer. La BBC a décidé de prendre le problème à bras le corps en lançant BBC Taster.

Pour Ralph Rivera, directeur de BBC Future Medias, « depuis 20 ans […], nous nous sommes contentés de prendre les médias tels quels, télévision, radio, journaux, magazines, pour les distribuer en ligne. ». C’est l’éternel problème des médias traditionnels face au web : que publier de plus sur la version web, en intéressant le lecteur tout en évitant de perdre trop d’argent ?

Beaucoup de médias font le choix de mettre en ligne de simples extraits de leurs contenus papiers, télé ou radio. Mais l’internaute n’est pas dupe : le magazine Néon se contentait par exemple de « teaser » ses articles. L’été dernier, leur site a changé du tout au tout pour proposer un vrai contenu, complet et intéressant. Car qui irait sur un site web pour lire des débuts d’articles ? C’est à cette problématique que la BBC a été confrontée. Et la réponse trouvée est simple : plutôt que d’élaborer une stratégie qui risquerait de passer à côté des besoins des internautes, BBC Taster les fait participer à leur contenu.

Ce « bac à sable » permet aux journalistes de la BBC d’expérimenter de nouvelles techniques de narration, tant sur le fond que sur la forme. Leurs productions sont alors disponibles sur BBC Taster, et les internautes peuvent leur donner une note sur 5, mais aussi partager le projet. Il s’agit cependant d’être réactif, puisque les projets ne sont disponibles que pendant trente jours. Actuellement, les lecteurs peuvent tester un grand format sur la série Doctor Who (on est anglais ou on ne l’est pas), et aider la BBC à compléter ses archives.

Repenser son rapport au lecteur : c’est peut-être ce dont on besoin les médias télé, papier et radio qui souhaitent s’implanter dans le web. Nombreux sont les rédacteurs en chef de sites web se plaignant des commentaires agressifs ou tout simplement dénués de sens, qui colonisent leurs articles. Pourtant, ce sont les lecteurs qui constituent l’audience du site, ce sont donc eux qui décideront ou non de son succès. En soumettant ses nouveaux dispositifs au lecteur, la BBC prend en compte cet impératif, encore plus accru lorsqu’il s’agit d’internet. Et Ralph Rivera d’ajouter « comment faire pour qu’internet passe du statut de plateforme de distribution à celui de média à part entière? […] C’est le défi que nous allons relever, et nous allons le faire au grand jour, en invitant le public à nous dire ce qu’il en pense. »

Newsgames : Passez aux commandes de l’actu

newsgames

Décrypter l’information autrement ? Press start. Si l’année dernière plusieurs médias avaient pris part à un concours de newsgames en Allemagne appelé Hackathon, The Guardian va plus loin en ce mois de mars 2015. Le quotidien britannique s’associe au festival de jeux vidéo Rezzed Game Festival pour organiser un rassemblement dédié aux newsgames à Londres. Journalistes et codeurs feront équipe pour réaliser le meilleur newsgame relatif à un fait d’actualité paru dans le journal du jeudi 12 mars. Les juges de Creative Assembly (studio de développement de jeux vidéo britannique) et The Guardian rendront ensuite compte de la meilleure production. Expliquer l’actualité autrement et de manière ludique semble  être une pratique qui se développe de plus en plus depuis ces dernières années. Mais où en sommes nous avec le newsgame et dans le contexte actuel, peut-on vraiment jouer avec l’actualité?

Les règles du jeu

Le newsgame, qui peut littéralement être traduit par « jeu d’information », fait partie de ce que l’on appelle la catégorie des jeux sérieux. Il transmet un fait d’actualité à travers les codes du jeu vidéo. Une certaine interactivité avec le lecteur se met alors en place. Elle permet de capter l’attention différemment et apporte ce petit plus que le texte des journaux, la vidéo de la TV ou le son de la radio n’ont pas. Selon Tomas Rawlings, responsable du studio Auroch Digital basé à Bristol et dont les newsgames sont reconnus, l’intérêt de transmettre l’information par l’intermédiaire du jeu vidéo ne peut être efficace que dans le cas où le choix du sujet est malin. On ne peut pas créer un jeu vidéo interactif sur n’importe quel titre d’actualité, aussi important qu’il soit. Ce dernier doit être intéressant sur le long terme car il faut prendre en compte le temps de développement du jeu.

« Ce qui est formidable dans les jeux vidéo, c’est que personne ne lit jamais la notice et pourtant tout le monde apprend ! Il y a une transmission d’informations. »

Florent Maurin à Mediatype, journaliste et fondateur de The Pixel Hunt, agence specialisee dans la production de newsgames 

Et le concept semble s’ancrer dans les mœurs notamment en France puisqu’on constate l’apparition d’agences spécialisées dans la mise en jeu de l’information. Parmi elles, Ask Media, Vedodata et la petite dernière The Pixel Hunt (littéralement la chasse aux pixels) créée par Florent Maurin, journaliste de formation et ancien rédacteur en presse jeunesse (BayaM). Lauréat du prix Google-Sciences Po en 2014 dans la catégorie « Start Up de l’info », il a pu créer son propre studio de production spécialise dans les newsgames. Il explique à Mediatype être passionné de pédagogie, et que celle ci ne s’applique pas seulement aux enfants mais aussi à l’information pour les adultes. Pour avoir un ordre d’idée du budget que peuvent représenter de telles productions journalistiques, cela peut aller de « 5 000€ pour un newsgame éditorial, un petit jeu qui va être joué en quelques minutes avec un message fort et pugnace, à 650 000 € pour “Fort Mac Money”. » Ce dernier est un documentaire/jeu vidéo réalisé en 2013 par David Dufresnes en partenariat avec Le Monde, Süddeutsche Zeitung, Radio Canada et The Globe and Mail. Les joueurs peuvent alors incarner différentes postures et décider comment exploiter les sables bitumineux de l’Athabasca au Canada.

Mettre son public à contribution pour une compréhension facilitée des sujets sensibles de l’actualité est un bon exemple de la plus value qu’apporte le newsgame. Ainsi, le jeu « End Game : Syria » a été le premier jeu vidéo à visée pédagogique ayant pour sujet un conflit en cours. Lancé en 2012 par le site GameTheNews.net, le joueur doit alors prendre un certain nombre de décisions politiques et militaires pour mettre fin au conflit.

Impression d'écran du jeu "End Game : Syria" depuis le site http://gamethenews.net/index.php/endgame-syria/
Impression d’écran du jeu « End Game : Syria » depuis le site http://gamethenews.net

 

Activer le mode autodéfense

Cependant, chaque concept, aussi novateur qu’il soit, semble avoir ses limites. Présenter l’actualité de façon ludique peut faire polémique. Par exemple, le jeu « End Game : Syria » a été le sujet de plusieurs controverses. D’abord rejeté par l’App Store, ses créateurs ont confié à The Guardian avoir reçu des critiques virulentes tant sur le caractère inconcevable de traiter un sujet aussi sérieux à travers le jeu que sur «  la probabilité que le jeu soutienne les rebelles car il se joue de leur côté ». On touche aux questions de la subjectivité journalistique et du caractère interactif de l’information qui n’est pas accepté universellement. Plus que jamais, le journaliste doit se tenir prêt à défendre son travail. Dans ce cas, il s’agit de démontrer qu’un « jeu sérieux » n’est pas un oxymore.

Enfin, preuve que le newsgame se démocratise en 2015, des formations spécifiques sont proposées aux journalistes professionnels. C’est le cas du CFPJ qui propose notamment des cours de « Rhétorique procédurale, game design, level design et narrative design ». Cependant tous les journalistes ne sont pas des développeurs. Lors du News Hackathon de 2014, le journaliste du Guardian avait repris un tutoriel du jeu Flappy Bird sur internet pour réaliser son newsgame. Rawlings rapporte dans The Guardian que rien n’est plus logique puisque « cela se produit tout le temps en journalisme: les informations sont faites de phrases accrocheuses reprises pour faire des titres accrocheurs ». Mais en 2015, le journaliste a-t-il pour ambition de se reposer sur des techniciens pour délivrer l’information ? Alors, newsgame, concept intéressant et pédagogique, c’est certain. Mais avenir du métier, pas sûr.

Les médias ne savent plus quoi faire des commentaires (2/2)

Si les commentaires des articles en ligne prêtent généralement à rire, souvent à critiquer, quelques fois vont trop loin, peuvent parfois émettre une réelle opinion ou servent seulement à troller, ils sont une véritable épine dans le pied des médias. Pourquoi les laisser, pourquoi les supprimer. Il n’existe pas réponse exacte, mais certains ont fait leur choix. Ce mini-dossier ne veut pas peser le pour et le contre mais exposer un avis, une décision qui pourront peser dans la balance.

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Entre une liberté totale, restreinte ou nulle, le choix n'est pas simple pour les médias. (Photo V.C.)

« Vous parlez vraiment de moins d’un pour cent de l’ensemble de l’audience qui est engagé à commenter, même s’ils paraissent être une communauté très active. Lorsque l’on prend l’ensemble de l’audience, ces internautes ne représentent pas le lectorat ». Ce sont les mots du responsable du développement numérique de Bloomberg, Joshua Topolsky, lorsqu’il justifiait la suppression des commentaires dans leur structure éditoriale en ligne. Et d’ajouter : « ces gens ne sont pas nos vrais lecteurs donc on peut se permettre de les ignorer, pour prêter plus d’attention seulement aux personnes qui choisissent d’être dans les réseaux sociaux que nous fréquentons, comme Twitter et Facebook ». Les mots sont clairs, l’idée est précise. Bloomberg ne veut pas donner la parole à ceux qui ne le mérite pas, et qui voudrait nuire au média. A un jugement définitif, une décision tranchante.

Malheureusement, ce sont tous les lecteurs qui pâtissent des crimes de leurs compères incivils. Mais qu’en est-il de ces internautes qui veulent donner leurs opinions sans se soumettre à une obligation d’identité via leur profil Facebook, ou ceux choisissent volontairement de ne pas appartenir à ces réseaux sociaux ? Bloomberg se passe de leurs commentaires, bien fait pour eux. Mais la question qui se pose principalement ici, c’est comment un média peut trier ses lecteurs, afin de ne conserver que ceux qui importent vraiment au journal. En somme, et Arrêt sur images le métaphorise parfaitement, comment installer un péage à trolls. Un magazine américain aurait peut-être trouvé la parade idéale pour civiliser les débats et créer un espace d’opinion.

Tablet Magazine est un spécialiste en ligne de l’information culturelle et d’actualité liée à la communauté juive. Rencontrant les mêmes problèmes que ses collègues, le magazine a mis en place un système très simple : si vous voulez commenter, vous payez ! La solution pourrait paraître un peu extrême, cependant pas sans logique. Le pari est risqué mais les résultats peuvent être considérables. Bien que la totalité du site soit gratuit, les internautes doivent désormais débourser deux dollars — 18 dollars par mois ou 180 dollars par an —, pour à la fois commenter mais aussi lire les contributions des autres. « L’internet, avec toutes ses vertus, pose également un défi de taille en matière de discussions et de commentaires civilisés », expliquait Alana Newhouse, éditrice de Tablet, dans un billet (gratuit) pour justifier cette démarche. « Il permet à des individus au caractère destructeur, souvent de manière anonyme, de rabaisser le débat, quand ce n’est pas pire encore ».

Avec cette nouvelle formule, c’est une nouvelle façon de voir l’interaction avec les internautes. Plus qu’une dyade proprette, le média et les lecteurs pourraient alors profiter de cette zone franche pour établir une vraie plateforme d’échange. Si vous payez, vous confirmez « votre engagement à prendre part à une conversation de qualité ». Le risque, comme le précise Slate, serait « une migration des trolls vers la page Facebook du site ». Le community manager aurait alors un sacré boulot de nettoyage.

Avec beaucoup d’autodérision, Tablet considère lui-même cela comme « un vol ». La liberté à un prix, mais avoir la paix aussi.

Les médias ne savent plus quoi faire des commentaires (1/2)

Si les commentaires des articles en ligne prêtent généralement à rire, souvent à critiquer, quelquefois vont trop loin, peuvent parfois émettre une réelle opinion ou servent seulement à troller, ils sont une véritable épine dans le pied des médias. Pourquoi les laisser, pourquoi les supprimer. Il n’existe pas de réponse exacte, mais certains ont fait leur choix. Ce mini-dossier ne veut pas peser le pour et le contre mais exposer un avis, une décision qui pourront peser dans la balance.

Entre une liberté totale, restreinte ou nulle, le choix n'est pas simple pour les médias. (Photo V.C.)

Bien que l’on puisse considérer les commentaires comme une plateforme d’expression, où la liberté est plutôt contrôlée, les internautes ne mâchent pas leurs mots. Contre le média, contre le journaliste, contre les idées, contre l’écriture, contre le sujet… Le lecteur du numérique, lorsqu’il prend la peine de rédiger un avis, est rarement positif. Et c’est justement le problème que des grands noms comme Reuters ou Bloomberg ont décidé de résoudre d’une manière catégorique : sus aux commentaires ! Ils ont même ensuite été confortés dans cette idée, plusieurs sites ayant profité de cette audace pour s’engouffrer dans la brèche.

Alors quand une voix s’élève, et pas des moindre, pour crier haut et fort que la suppression des commentaires est « une erreur monumentale », forcément ça fait du bruit. L’homme, le frondeur, l’impudent même, est Aaron Pilhofer. Il est tout simplement l’éditeur numérique du Guardian, l’un des quotidiens britanniques d’information les plus influents. Et sa voix pèse d’autant plus qu’en 2012 par exemple, leur site internet était le troisième site le plus consulté au monde ! A noter aussi que le monsieur était auparavant dans l’équipe du New York Times. Et c’est lors d’un talk pendant la conférence du News:Rewired — un événement centré sur le média digital —, qu’Aaron Pilhofer a lâché ses bombes.

En pointant du doigt le fait que les rédactions ne profitent pas pleinement des capacités offertes par le web pour créer une relation bilatérale avec les lecteurs, il a reproché à demi-mots le refus de faire progresser le journalisme à l’aire numérique. Il est d’ailleurs « absolument convaincu que le journalisme en ligne a besoin d’être un échange avec les lecteurs. C’est l’un, sinon le domaine prioritaire d’intérêt que les rédactions traditionnelles ignorent totalement ». Avant d’ajouter, à la fois comme une sentence et une accusation : « Vous voyez, site après site, la mort des commentaires et l’abandon progressif de la communauté d’internautes – c’est une erreur monumentale… les lecteurs ont besoin et méritent d’avoir une voix. Ils devraient être la partie essentielle de votre journalisme » »

Alors que faire ? Le Guardian de son côté a décidé de prendre le sujet à bras le corps et de s’immerger totalement dans cette voie. Grâce à des projets comme le Guardian Witness – un site où les internautes peuvent suggérer des sujets, des histoires et même faire partie du reportage -, ou les multiples expériences de crowdsourcing, ont fait du journal l’un des précurseurs d’un véritable « open journalism ». Alors défi utopique ou véritable révolution, il faudra attendre encore un peu avant de le savoir. Mais le Guardian a au moins le mérite de tenter, d’essayer, ce qui peut cruellement manquer aujourd’hui dans le journalisme. « Ceux qui commentent ne représentent pas nos lecteurs, et ne sont souvent même pas des vrais lecteurs ». Voilà en général la défense engagée par les médias qui ont choisi de zapper les commentaires, comme Bloomberg.  Certes, il y a une part de vérité. Mais comment trier le bon grain de l’ivraie ? Là est le casse-tête.

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CNN.com devrait-il se mettre à la page ?

Le site de la première chaine d’information aux États-Unis a décidé de faire peau neuve pour la nouvelle année. Le nouveau design est plus adapté à la lecture via les smartphones et donne la part belle aux réseaux sociaux. Pourtant, deux mois après sa mise en ligne, il est peut être déjà temps d’actualiser la page.

Meredith Artley, éditrice en chef de CNN digital, avait bien prévenu que cette version du nouveau site était un « premier jet » et que des mises à jour se feraient dans les semaines suivant le lancement. Deux mois après le lancement rien de nouveau à l’horizon et certains lecteurs grincent des dents.

La nouvelle et l'ancienne version du site
La nouvelle et l’ancienne version du site

 

Faire peau neuve

L’objectif principal de cette mue était de rendre le site plus accessible pour les usagers mobiles, qui totalisent près de la moitié des visites du site. Ils peuvent ainsi lire les articles publiés et les passer plus facilement. Cette nouvelle conception était une entreprise énorme pour CNN, qui édite plus de 200 histoires par jour et obtient jusqu’à 60 millions de visiteurs mensuels par mois, selon comScore. La nouvelle version propose donc une « side bar » avec les « top stories » pour pouvoir scroller en toute simplicité. Un autre point d’orgue du nouveau design c’est la place importante accordée aux visuels. Cette nouvelle plateforme se veut très multimédias et est la suite logique du lancement du « digital studio » de CNN l’année dernière, qui crée du contenu vidéo uniquement pour son site web.

La place des mots

 Qui dit nouvelle version dit nouveaux bugs. Très vite les utilisateurs se sont rendus compte que le chargement des pages était jusqu’à trois fois plus long par rapport à l’ancien support. Mais le point de désaccord le plus important est la place des articles par rapport à celle donnée aux images. Certains lecteurs ne semblent pas partager l’adage qui veut qu’une « image vaille 1 000 mots » et rappellent qu’ils vont sur le site pour lire des articles d’actualité. Et il est vrai que les illustrations sont beaucoup plus présentes dans cette nouvelle version. La place de celles si a augmenté de 115%. Cela force les utilisateurs à scroller toujours plus pour avoir accès aux news et ralenti d’avantage le chargement de la page.

 

La place des illustrations
La place des illustrations

Selon Meredith Artley, CNN.com doit s’adapter, dans les prochains jours, en fonction « des performances du site et des habitudes des utilisateurs ».